Trop peu de gens savent de quoi ils parlent quand ils parlent de déterminisme. On va parfois dire des choses du genre : « L'expérience prouve que les déterministes ont tort : c'est l'éducation qui fait des gens ce qu'ils sont. », ou encore « Le déterminisme est un mode de pensée dépassé. », voire pire, « Le déterminisme est un mode de pensée dépassé : il a été supplanté par la théorie du chaos. ». Alors je vais mettre les choses au clair.
Le déterminisme est une idée philosophique selon laquelle le hasard n'existe pas. On va très vite dire qu'une cause BIEN précise amène un effet bien précis, et que comme l'état de notre Univers à un instant donné est bien fixé, alors toute la suite est elle aussi unique.
I Des penseurs déterministes célèbres : Descartes et Laplace
II Fausses idées sur le déterminisme
III Le hasard ; coup de gueule sur la mécanique quantique
IV Deux interprétations de la mécanique quantique
V Le concept de Nomos
Conclusion
I Des penseurs déterministes célèbres : Descartes et Laplace
Officiellement, c'est Descartes qui le premier a étendu l'idée de déterminisme à l'Univers entier, quoique celui ci, aveuglé par sa foi chrétienne anthropocentrique, voulait absolument croire que l'homme avait une âme qui pouvait évoluer au hasard. Faut dire aussi que comme tout le monde, on préfère croire qu'on est libre : le déterminisme est contraire à l'existence de la liberté car chacun des actes d'un animal quelconque est déterminé par des causes externes et internes elles mêmes bien déterminées etc. Cette petite faiblesse n'empêchait pas Descartes d'être génial.
Descartes a tout de même prédit l'immense utilité de la science par son application. Pour ça et pour d'autres choses, on l'excuse d'avoir été débile au point de ne pas comprendre que l'homme est un animal.
Quand on parle du déterminisme, on pense souvent au déterminisme laplacien. Laplace était un mathématicien et physicien du XIX ème siècle. Il a écrit dans une lettre que si un être d''une intelligence divine (le « démon » de Laplace) connaissait l'état précis de l'Univers à un instant donné, et connaissait toutes les lois le régissant, il connaîtrait tout de l'Univers, du futur comme du passé. Pourquoi du passé alors que l'effet suit la cause ? Une petite explication me semble nécessaire, mais dès que vous avez compris, passez immédiatement à la partie II.
Lorsqu'on considère un système évoluant au fil du temps, ses paramètres variant au cours du temps sont toujours fixés par une équation différentielle. Du moins c'est ce que Laplace pensait, et je crois que c'est une très bonne intuition. La solution d'une équation différentielle n'est pas un nombre : c'est une fonction, ici, une fonction du temps car on considère qu'on a éliminé les autres variables avec d'autres équations.
Je ne vais pas ici vous donner la définition rigoureuse d'une fonction, mais disons qu'on a un type d'objets de départ, un type d'objets d'arrivée, et qu'à chaque objet de l'ensemble de départ, la fonction associe un unique objet d'arrivée. Par exemple, « nez de » est une fonction qui va de l'ensemble des animaux qui ont un nez à l'ensemble des nez, et qui à chacun de ces animaux associe son unique nez. Avec plus ou moins de rafistolages, on peut définir les fonctions « père de », « double de », « intelligence de »...
Bon, maintenant, un joli schéma.
L'automne, une feuille sur la rivière.
J'ai ici tracé dans un graphe différentes solutions d'une équation différentielle bien précise. Pour résoudre complètement notre équation différentielle, il nous faut une condition « initiale » de la fonction, connaître un des ses objets de départ et l'objet d'arrivée qui lui est associé (exemple : au déclenchement du chrono la balle est à tel endroit et va à telle vitesse). Une fois la condition initiale connue, on connaît précisément la fonction, du coup on connaît les objets d'arrivée à n'importe quel moment ! Le point CI 1 est traversé par une unique courbe, et on peut se permettre d'assimiler la courbe à la fonction.
Si le démon de Laplace connaît toutes les équations et connaît la CI à un moment donné, alors il connaît tout.
Le démon de Laplace peut poser des gros paradoxes s'il fait partie du système, mais je n'en parlerai pas ici.
II Fausses idées sur le déterminisme
Maintenant, sus aux préjugés. Pour savoir ce que le déterminisme n'est pas :
-L'idée selon laquelle les individus sont entièrement déterminés par leur code génétique : ça porte un nom que j'ai oublié. L'extrême opposé, qui insiste trop sur l'environnement, ça s'appelle le behaviorisme.
-Le fait que l'homme pourra un jour tout déterminer. Le déterminisme dit que les choses sont déterminées de manière absolue, mais pas que nous autres êtres humains pouvons les déterminer de manière absolue. Laplace savait très bien que son « démon » était un être imaginaire : même l'ordinateur le plus puissant possible ne pourrait à mon avis compter tout ça.
-Le déterminisme n'incite nullement à laisser faire les choses. Il y a de constants rapports de causes à effets, et même si nos actes sont déterminés par des causes précises, ils sont aussi des causes d'autres choses : nous sommes influés, mais nous influons, donc nos actes ne sont pas vains. Le déterminisme n'est en aucun cas une forme de fatalisme qui incite à la résignation.
-Le déterminisme ne rend pas vain les combats pour la liberté. La liberté n'existe pas, mais il y a des sensations de contraintes qui sont naturellement nocives pour les animaux, dont les êtres humains. Etre enfermé dans un espace exigü, être contraint à toujours manger la même chose, être forcé à faire quelque chose que l'on n'a pas envie de faire... En fait, le problème c'est plutôt la sensation de liberté.
III Le hasard ; coup de gueule sur la mécanique quantique
Je suis déterministe. Je crois résolument que le hasard n'existe pas, que ce n'est qu'un mot qu'on balance pour donner un semblant d'explication. Mais d'abord, qu'est-ce que le hasard ?
On a souvent tendance à imaginer le temps comme une ligne droite.
Appris en bourrage de crâne au CE1.
Le hasard, c'est ça :
Et ça servira de symbole dans Omblio ! Le Y.
On a plusieurs suites de la ligne de temps possibles. Toutes peuvent arriver, elles ont toutes une probabilité non nulle.
Mais alors se pose une question : si toutes peuvent arriver, pourquoi y en aurait-il une plutôt qu'une autre ? Même le fait d'être très probable ne garantit pas dans l'absolu que l'événement se produise.
Intermède illustratif : extrait d'un cours de physique des particules où je remets en question la vision naïve du hasard. Il n' y aucune caricature.
Bon allez, tant pis, je vais le faire quand même, ras le bol. Je vais en profiter pour vous dire ce que je pense de la mécanique quantique, car c'est pas très éloigné de ce que je dont je vous parle.
Ce que j'aime le moins dans la mécanique quantique, ce sont surtout les mécaniciens quantiques. La plupart, en bons moutons irréfléchis, sont de l'avis de l'interprétation de Copenhague de la mécanique quantique : « Y a des trucs louches qu'on comprend pas ? Faut pas chercher à comprendre, retourne à ta feuille de calcul. Les électrons bougent au hasard ? Bien sûr que si puisque je te le dis. Et si t'es pas content tu fermes ta gueule, c'est comme ça et puis c'est tout. Oh et puis au passage, je vous rappelle que les choses sont ce qu'elles paraissent. Comment ça, y a des gens qui se donnent l'air gentil alors que c'est des méchants qui veulent manipuler ? Désolé, vous n'avez pas frappé à la bonne bande passante de mon oreille. Quoi, c'est mon cerveau ? Bouché ? Je comprends rien à ce qu'il dit l'autre gamin... ».
Il y a quand même certaines personnes qui ont proposé des interprétations qui tiennent la route, dont un certain nombre qui sont assez modernes. En voici deux que je connais plutôt bien.
IV Deux interprétations de la mécanique quantique
La théorie des univers multiples :
Tous les chemins de la ligne de temps sont pris et forment des univers séparés.
Divergence de la ligne de temps.
Le problème de cette interprétation est qu'aux dernières nouvelles, elle ne permet aucune prédiction. On pourrait imaginer que les lignes de temps forment un espace vectoriel avec des lois précises, mais pour trouver ces lois, et surtout s'en servir, là je vois pas du tout.
Généralités sur l'interprétation d'Einstein :
Le père Einstein, résolument absolutiste contrairement à ce qu'on pourrait croire, a toujours cherché l'interprétation la plus... absolue. Et aussi la moins farfelue. Parce que comme vous venez de le voir, il y en a, des interprétations farfelues. Il s'est battu et a longuement débattu avec son copain Niels Bohr, ce dernier jouant le rôle de porte-parole de l'interprétation de Copenhague, alors qu'Einstein essayait de défendre les points de vue les moins farfelus. Le public a donné raison à Bohr sur toute la ligne, alors qu'à mon avis, il n'avait raison face à Einstein que sur certains points.
Le meilleur physicien, et cool en plus.
Einstein et Bohr débattant sur la mécanique quantique. Mais quand on sait qu'Einstein était pacifiste et que Bohr a participé au projet Manhattan visant à développer l'arme nucléaire pour les Etats-Unis, on a de quoi se dire que ces deux copains ont du se disputer bien plus violemment...
Einstein est vraiment un personnage que j'admire. Sa théorie de la relativité est finalement très absolue : les relativités de l'espace et du temps sont fixées par la vitesse de la lumière dans le vide c, et la résolution des paradoxes ne se fait pas par une divergence de je ne sais quel sous-espace vectoriel : on considère que chaque paradoxe n'est pas une contradiction, même s'il n'y a pas de méthode générale pour le résoudre. Il s'est défendu comme un sanglier face à la nouvelle tendance qui voulait que le hasard existe. Einstein a dit : "Dieu ne joue pas aux dés.", ce à quoi Bohr a à peu près répondu : "Qui êtes vous pour dire ce que Dieu a à faire !". Jusque là, on serait tenté de donner raison à Bohr. Mais passons à une autre version de la même chose :
Bohr : Dieu joue aux dés.
Einstein : Qui êtes-vous pour dire ce que Dieu a à faire ?
Egalité ? Presque, mais d'abord, que voulait dire Einstein en parlant de Dieu, lui qui haît la religion ? Il voulait parler de Nomos.
V Le concept de Nomos
Pour avoir une idée de ce qu'est Nomos, une explication fonctionnelle me paraît très bonne.
Voici le graphe de la fonction carré dans |R.
Gr x|->x²
La fonction carré ne change pas. En revanche, x² change en fonction de x.
Voici le graphe d'une fonction , notée g, qui à un nombre a associe ce nombre « fois » la fonction carré.
Gr a |-> (x|->ax²)
Ici, la fonction carré varie d'un facteur réel ! Mais la fonction g est constante.
De manière vulgaire, on dit que rien ne change, sauf le changement. Je crois qu'il vaut mieux adopter une pensée fonctionnelle et se dire que chaque changement est régi par une constante au dessus de lui, de manière plus ou moins directe.
Nomos, c'est la constante ultime, la loi (ou l'ensemble de lois, ce qui revient au même en mettant un « et ») qui régit tous les changements. Spinoza appelait ça « Dieu ». Moi je trouve que c'est plus une espèce de programme informatique qu'un être susceptible d'amour ou de colère, comme, comme... Ben comme nous, les humains. Quant à mon pseudonyme « Anti - Nomos », il reprend juste un symbole dans Omblio. C'est Nomos au sens « La loi et la norme qui nous écrasent de leur joug », c'est purement symbolique, pas très sérieux.
La physique étudie les lois de la nature. Le physicien part de l'idée que les choses ne se font pas n'importe comment car il y a des lois. Ce faisant, il fait presque l'hypothèse que la nature est une unique loi, l'hypothèse de Nomos. Le but ultime de la physique est de connaître Nomos : certains croient qu'il suffira pour cela de concilier la mécanique quantique avec la relativité générale, mais je crois qu'ils se mettent le doigt dans l'oeil. En fait on n'y arrivera jamais.
La théorie des univers multiples laisse la possibilité de l'existence d'une constante ultime, donc il peut y avoir Nomos ET hasard.
Conclusion :
Mais maintenant, je voudrais en revenir à un peu de bon sens. Comment prouver que le hasard existe ? On peut toujours penser qu'il y a quelque chose qu'on a oublié, un outil mathématique permettant de décompléxifier le problème et le résoudre, ou encore un paramètre inconnu. Après tout, l'homme n'est pas transcendant, il y aura forcément des choses qui passeront au dessus de son intelligence. On ne peut pas tout savoir. Mais comment peut-on savoir qu'on ne peut pas le savoir ?
Comment prouver que le hasard n'existe pas ? Il faudrait connaître toutes les équations déterminant l'état de tout système. Et ça, c'est pas demain la veille. En fait, on ne peut pas savoir si le hasard existe ou s'il n'existe pas.
Mais j'ai un argument ultime qui permet de trancher entre la pensée déterministe et celle de la théorie des univers multiples. La théorie des univers multiples ne donnera jamais de résultat dans les recherche. Alors que l'intuition déterministe nous pousse à chercher car on se dit qu'il y a une loi. Si tout le monde s'était mis à penser que le mouvement des planètes se fait au hasard, on n'aurait pas eu de loi fondamentale de la dynamique, et sans cette loi là, la physique n'est presque rien : adieu les avions, les fusées et les ordinateurs, les télés et les tracteurs, adieu. Et désolé si j'en ai oublié.
La pensée déterministe motive la recherche et peut inciter à lutter pour améliorer le monde, alors soyons déterministes !
Bonus track : juste pour le fun ! Je vous jure que c'est pas le même ! Et j'ai même pas fait exprès !