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13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 18:51

Dimanche :

 

            Après une fort longue grasse matinée et une vulgaire tentative de négocier un exercice de mathématiques, abandonnée au profit de la révision du vocabulaire d’Anglais et d’Allemand, Sylvain, n’ayant pris de repas ni pour le matin ni pour le midi, reçut enfin Julie chez lui, ses parents étant aussi au domicile. Il l’accueillit par une embrassade, un baiser et une petite caresse sur la joue, le tout agrémenté de la formule de politesse adaptée.

 

« C’est bon, dit Sylvain, mes parents sont d’accord pour que tu restes manger ici ce soir.

-Ouah, super, comme ça tu pourras m’expliquer comment lire ce livre.

-Si tu veux, allez, viens dans ma chambre. »

            Ils entrèrent dans le domaine de Sylvain. Les lapins abondaient, quelques affiches anti-nucléaire, pour le bio et divers posters, d’une fascinante éclipse totale de Soleil, d’une luxuriante forêt équatoriale, un planisphère reconstitué à partir des photographies de la Terre depuis l’espace, étaient fixés sur les murs. Le drap du lit n’avait pas été fait car Sylvain savait que ses lapins le décalaient tout le temps. D’une petite bibliothèque, Sylvain sortit un exemplaire du livre de Reinhard Schäckorter, Des mœurs et de l’écologie profonde.

 

« Oui, dit-il, je vais t’expliquer comment il faut le lire. Au départ, c’est assez simple, il suffit de le lire une fois d’un bout à l’autre sans trop réfléchir. En fait, il est assez bien fait, bien structuré, mais même à la première lecture, il faut quand même bien garder en tête ce qu’on a vu dans l’introduction.

-Elle est longue ?

-Oui, mais il fallait bien ça. C'est là qu'on explique les bases de l’écologie profonde, qu’est-ce que c'est que la Nature, comment les plantes et les animaux en sont arrivés là, plein de choses qui servent à mieux comprendre ce qu’il faut faire et pas faire dans les mœurs d’un vrai écologiste. Tiens, si tu veux, on va lire le début ensemble, ça fait longtemps que je l’ai pas lu je me rends compte… »

            Et c’est ainsi que Julie s’embrasa pour le livre de Schäckorter. Quelle merveille ! C’était manifestement une révélation faite aux humains, un cadeau là pour tous nous sauver ! Et en plus, c’était vrai que le niveau de réflexion volait très haut, on dépassait presque tout ! Quelle chance que la famille de Sylvain en avait trois, comme quoi, le hasard faisait bien les choses…

            Sylvain lui expliquait d’autre part comment il fallait relire ce livre :

 

« Donc, quand tu le reliras, tu feras bien attention à chaque passage et tu essaieras de bien comprendre ce qu’il faut faire et pas faire dans la vie de tous les jours. »

            Il s’interrompit car son père venait d’ouvrir la porte entr’ouverte et vérifier que tout se passait bien.

« Ah, tu lui fais lire le livre.

-Oui, répondit Sylvain, je lui explique aussi qu’il faut bien relire les passages où on explique les mœurs pour bien les appliquer. »

            Sans que les autres comprennent tout de suite pourquoi, Gérard soupira profondément.

« En y repensant, c’est pas si facile que ça…

-Comment ça ? demanda Sylvain.

-Didier me l’a redit hier, on fait pas les choses exactement comme il faut, il voudrait qu’on aille plus loin, jusqu’au bout. »

            Sylvain fronça les sourcils.

« C’est vrai qu’on en fait déjà pas mal, lui-même dit qu’on fait mieux que bien d’autres gens, mais il a raison en disant qu’on ne fait pas tout comme on devrait… On a encore des objets en plastique, comme nos stylos, nos classeurs, on n’a que des lapins et un chien protégés sous notre toit, et puis, à y repenser, le bio c’est pas naturel, ça reste de l’agriculture, c’est pas de la cueillette.

-C’est vrai, renchérit Sylvain, regardant le planisphère avec son plastique, quand on y pense, on pourrait faire mieux. »

            Julie suivait avec attention ce discours qui dépassait son niveau en matière d’ écologie profonde, bien qu’elle en comprenne le sens principal.

« D’un côté, on a déjà progressé, reprit son père. Je me suis rendu compte que ces panneaux solaires n’étaient qu’une arnaque, alors je les ai revendu. En fait les énergies renouvelables ça règle pas le problème. A la limite, une pierre qui sert de four solaire en été, pourquoi pas, mais l’électricité, non, ce sera jamais la solution vu que c’est justement ça le problème.

-Et si on s’y mettait ? demanda Sylvain avec enthousiasme.

-On pourrait, oui… Je me rends compte que c’est très difficile de ne pas se résigner même quand on sait ce qui est révoltant, mais… - il soupira à nouveau - Oui, on pourrait essayer, on pourrait mener ce combat jusqu’au bout, mais il va falloir se serrer les coudes, d’accord ? »

            Sylvain et Julie firent « Oui » de la tête.

« Bon, alors je vous laisse vous instruire, conclut-il. C’est vous qui allez jouer le plus grand rôle dans cette histoire, alors préparez vous bien. »

            Il se retira. Les jeunes sentirent de tout leur esprit leur avenir, leurs responsabilités, l’idée épique et mystérieuse de tous les changements globaux futurs ; ils auraient pu le prendre comme un fardeau écrasant, mais ils préférèrent en faire une force, car ils étaient convaincus d’appartenir aux petits messies de l’humanité dont l’ascension ne faisait que commencer.

« Bon, déclara Sylvain, même si Papa ne suit pas les choses jusqu’au bout, je le ferai, je continuerai, je ne me résignerai pas. Il peut se relâcher, il peut oublier toutes ses valeurs, mais moi, je n’abandonnerai jamais. Et le meilleur moyen pour le faire, c’est de bien comprendre les choses, donc je me remets à la lecture avec toi.

-Ouais, pour faire ce rêve à deux ! rajouta Julie de bon cœur. »

            Sylvain sourit en gémissant de soulagement et d’apaisement pendant qu’il prit Julie dans les bras et qu’elle fit de même.

 

            Les rayons du puissant astre de lumière perdaient de leur ampleur chez Sylvain, étant de plus en plus filtrés par l’atmosphère en ce point ; quelques banals nuages parsemaient le ciel crépusculaire, et pourtant, quelque chose ne tournait pas rond. Du haut du balcon, Sylvain et Julie observaient le paysage de campagne qui s’offrait à eux, avec ses vastes champs et ses sombres forêts, ses petites maisons et ses sauvages vallons, ses vaches paisibles et ses buses chasseuses, mais une question demeurait.

« Dis moi Sylvain…

-Oui ?

-Est-ce que le paysage a toujours été comme ça ?

-Bien sûr que non, les cultures ont changé, des routes ont été construites et reconstruites…

-Non, pas ça. Je voulais dire… Tu vois, j’ai l’impression que tout ce qu’on voit au loin parait plus blanc, comme s’il y avait quelque chose qui nous masquait la vue. »

            Sylvain ne put s’empêcher de porter sa main à sa bouche, réfléchissant sur cet étrange phénomène.

« En fait, je crois que ça y était pas avant, du moins, pas comme ça. Et j’ai bien peur que ce soit le signe que nous vivons dans une atmosphère de plus en plus polluée. Et ça veut aussi dire qu’il va faire de plus en plus chaud, jusqu’à… En fait je sais pas. »

           

Quelque chose dans le ciel attira l’attention de Julie. Pour un novice, c’était une espèce de grand oiseau blanc, très indécent par sa malpropreté apparente, qui en faisait profiter tout le monde en voyageant très vite, ignorant le fait que c’est grâce à ces sales « oiseaux » métalliques qu’on pouvait aller au bout du monde en deux temps trois mouvements, qu’on établissait des communications postales, humaines et matérielles entre différents individus, que la situation humaine mondiale avait aussi été bouleversée à cause de cela, que ce soit pour les bas ou les hauts. Pendant la traversée fulgurante de l’ « oiseau » mécanique, la course du Soleil approchait à grands pas de sa fin visible.

 

« C’est dingue… déclara Julie. Sébastien m’a montré sur sa caméra numérique son voyage en avion. J’y suis déjà allée aussi, pour aller à Munich, mais je regrette. D’un côté, j’avais que sept ans. Si tu savais tout ce dont il n’y a pas besoin dans les avions : des écouteurs pour la radio, des repas tout faits, immondes et empoisonnés, des revues avec des couvertures en plastique, des écrans pour les films, des trousses de soins pas du tout homéopathiques…

-Tout ça ? Y en a qui parlent de confort, mais moi j’appelle plutôt ça un crime, une aberration ! Il faudrait que les gens apprennent à se priver si on veut avancer…

-Oui, mais t’as pas tout vu : tout ce que je t’ai dit, c’est déjà vivre comme des rois, mais avec la première classe, c’est carrément pire ! Des jeux-vidéo, des lits couchants, des lecteurs CD et DVD…

-Quoi ? Parce que ce que tu m’as dit avant, c’était pas le plus luxueux ?

-Non, c’était la seconde classe.

-Aaaaah ! cria Sylvain. Parce qu’il y en a à qui ça suffit pas de vivre comme des rois, il faut qu’ils vivent comme des empereurs ?

-Ben oui, c’est ce qu’ils pensent… »

            Sylvain avait l’air fort énervé, outragé par cet immense crime innommable contre mère Nature. Comment pouvait-on juste penser créer de telles choses ? Et comment pouvait-on les faire vivre avec son porte-monnaie sans ressentir une profonde culpabilité ? Une de ses convictions s’affirma encore plus : Il ne faut jamais prendre l’avion ! Non, il fallait faire quelque chose, réagir…

 

« Je ne les laisserai pas faire ! déclamait Sylvain. S’ils ne peuvent pas sauver l’humanité, nous le ferons ! S’il faut que je me sacrifie, je me sacrifierai, s’il faut qu’on se sacrifie tous, on se sacrifiera tous ! Si en plus je dois combattre, je combattrai ! Et je pense qu’il faudra beaucoup se sacrifier et combattre tous pour tous, alors on le fera, et l’humanité sera enfin sauvée, quel qu’en soit le prix pour elle ! »

            A ce moment, le dernier morceau d’un Soleil rouge sang venait juste de disparaître par delà l’horizon ; pour Sylvain, Julie, et même Gérard et Christine, l’inexorable course de l’astre n’était plus visible. Devant le balcon, en dessous d’étranges nuages bien plus violacés que roses, les champs, les forêts, les maisons s’assombrissaient : il était venu le tour de la nuit.

 

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