Cela fait longtemps que je voulais faire un article sur ce sujet : pointer du doigt les choses qui ne vont pas dans la poésie. Hmm, il me faut un plan...
I La poésie : la forme avant la logique
II Hermétisme ; la problématique du non-sens
I Définition de la poésie
Je vais me référer à la définition du Bescherelle grammaire que je trouve assez juste :
"La poésie est un champ d'expérience sur le langage. Qu'il soit écrit ou lu, le texte poétique attire l'attention sur sa forme avant de l'attirer sur son contenu."
J'ajouterais que la forme d'un texte poétique ressenti de façon sonore (1) s'attache toujours à la musicalité.
Cet attachement prioritaire à la façon dont la chose est dite s'opère souvent avec une perte de sens par rapport à un texte habituel. Je donne ici un exemple tiré d'une des oeuvres poétiques que j'apprécie, Les fleurs du mal de Baudelaire :
"Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.".
Commentons:
-"Homme libre" : on ne sait pas s'il s'agit d'une liberté absolue, métaphysique, ou d'un non respect des conventions ;
-"Homme libre, toujours tu chériras la mer !" : je ne pense pas qu'un homme libre au sens métaphysique, ni au sens de non respect des conventions, chérira forcément la mer. Pour la deuxième acception, j'en ai même une preuve : je suis libre à ce sens-là, et je ne chéris pas la mer ;
-"La mer est ton miroir" : son miroir ? Pas plutôt un de ses miroirs ? Et puis d'abord, une mer agitée ne dessert que très mal, voire pas du tout, le rôle de miroir ;
-"tu contemples ton âme" : problème conceptuel de taille : qu'est-ce que l'âme ? Si l'âme n'existe pas, il vaut mieux ne pas en parler sous peine de dire par la suite des choses complètement erronnées.
Intermède : pourquoi faut-il éviter de parler de choses qui n'existent pas ? Une petite virée dans la contrée des nombres pourra vous mettre la puce à l'oreille.
... je le fais parce que c'est important, n'ayez pas peur, un niveau 3ème suffira pour ça.
Soit x un nombre réel tel que
x²+x+1=0.
x²+x+1=0 donc (on multiplie par x de chaque côté)
x^3+x²+x=0 donc (x²+x=-1)
x^3-1=0 donc (-1=(-1)^3)
x^3-1^3=0 donc (on ajoute 1^3 de chaque côté)
x^3=1^3 donc (une seule possibilité pour x)
x=1, or x²+x+1=0 donc (substitution)
1²+1+1=0 donc (1²=1)
3=0 donc (on divise de chaque côté par 3)
1=0 donc (on ajoute 1 de chaque côté)
2=1,
or, dans l'ensemble {homme, femme}, il y a 2 éléments, or, 2=1, donc homme=femme, or moi homme, donc moi femme.
Ça vous épate, hein !
À bien y regarder, il y a une seule erreur de logique dans ce pseudo-raisonnement : considérer un nombre réel x tel que x²+x+1=0. En effet, il se trouve que cette entité n'existe pas !
Je ne vais pas disséquer l'extrait de Baudelaire plus avant, j'ajouterais juste que le mot "infini" est souvent employé à tort et à travers.
II Hermétisme ; la problématique du non-sens
Vous l'avez sûrement remarqué : très souvent, avec la poésie, on ne comprend pas. Cela découle directement du sacrifice du sens au profit de la forme.
S'ensuit une problématique de non-sens : si le produit poétique est incompréhensible, il ne faut pas se plaindre que les autres ne l'apprécient pas car ils ne le comprennent pas. Finalement, la poésie est quelque chose de très personnel...
À moins que.
À moins que l'on décide de soigner la forme comme le contenu, et de joindre, comme le dit la devise, l'utile à l'agréable...
(1) : un texte poétique écrit peut être ressenti de façon sonore : il suffit pour cela que le lecteur lise en s'imaginant le son correspondant au texte.