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13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 18:55

Epilogue :

 

            Lundi matin, au lycée de la ville. La permanence était obligatoire dans ces circonstances pour les élèves de seconde, et parmi tous les élèves de la salle, seuls deux n’avaient pas réussi à aller au CDI, faute de places : Laurent et Sylvain, qui étaient très occupés à régler, assis face à face, ce que Sylvain avait ressenti comme une conspiration contre lui, la conversation immédiatement devenue dispute, la dispute, à cause de l’absence de surveillant, très vite transformée en combat idéologique ; on n’en était pas encore venu aux poings ou à la reddition lorsque Bertrand, de retour de son séjour au CDI, passa par là et s’arrêta au seuil du théâtre de la tragédie.

 

« Mais voyons, grognait Laurent qui venait de se lever, il faut quand même reconnaître tout le bien que le progrès technique nous a apporté ! On n’a pas de raison de se priver de tout ! Le mieux, je le répète encore, c’est le laisser faire, la science ne peut que nous aider dans notre tâche.

-Le laisser faire ? rétorqua un Sylvain indigné par l’énormité des propos de Laurent, se levant à son tour. On va laisser faire le nucléaire, avec ses centrales et ses bombes, laisser faire les industries qui polluent à nous faire crever de chaud, laisser faire la déforestation, laisser faire les engrais qui empoisonnent l’eau ? Et tu appelles ça « le progrès technique » ? Y a pas de progrès technique, au contraire, on a une régression technique, et c’est pour ça qu’il faut justement vivre en ascètes, qu’il faut se priver de « tout » comme tu dis : c’est pour sauver l’humanité d’un désastre à venir.

-C’est intéressant, ce que vous dites, intervint Bertrand, se tenant debout à deux pas de chacun des deux protagonistes sans que l’un des deux ne l’ait vu venir. Non, vraiment. »

            Sylvain et Laurent détournèrent leur regard vers le nouvel arrivant.

« En fait, vous en faites tous les deux un peu trop à votre manière, continua Bertrand. Je dis bien « un peu trop » parce qu’il y a du bon et du moins bon dans ce que vous dites tous les deux. »

           

Même si je comprends mieux Sylvain, pensait-il très fort.

 

Sylvain s’étant rendu compte que la dispute allait mal finir, craignant que ce qui était arrivé Vendredi ne resurgisse, commença à se calmer, progressivement. Laurent répondit à Bertrand :

« Mais c’est lui qui a tort : il dit qu’il faut vivre sans électricité, sans eau courante, sans plastique, sans rien !

-Sur ce point, tu as raison. Il y a vraiment du progrès technique, et ça se voit partout : avec les hôpitaux, les films, les ordinateurs…

-Mais non, rajouta Sylvain, c’est lui qui a tort en laissant tout le monde polluer et détruire l’environnement, c’est pas du progrès technique.

-Et sur ce point, c’est toi qui as raison, commenta Bertrand. En fait, vous avez à la fois tous les deux raison et tort. Le progrès technique est à garder, la science aussi. Mais cette science, il faut s’en servir intelligemment, créer des produits utiles et non pas destructeurs : on peut garder nos transports, il faut juste les rendre écologiques. Sylvain a en partie raison en disant qu’il y a une régression technique : débarrassons nous des armes et des techniques polluantes, remplaçons les par des produits de consommation utiles et disponibles pour tout le monde sur Terre, et là nous pourrons créer un bel avenir. Enfin, c’est ce que je pense. »

 

            Laurent et Sylvain ne savaient que dire ; ils n’étaient plus dans une logique d’obstination cette fois ci, et à la tragédie avait été évité un dénouement malheureux, les passions ayant été apaisées.

 

Ce sont les deux personnes les plus extrêmes dans le domaine, songeait Bertrand, et j’ai réussi à les calmer toutes les deux… Ca m’étonnerait qu’ils soient convaincus qu’on pourrait aussi trouver un équilibre, une sorte d’alternative entre la pollution de masse et le retour à la bougie. Mais dire que j’ai quand même réussi à les calmer… Comme quoi, mine de rien, c’était pas impossible.


Un sourire se dessina sur son visage, le regard tourné vers l'avenir, le coeur plein d'espoir.

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13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 18:51

Dimanche :

 

            Après une fort longue grasse matinée et une vulgaire tentative de négocier un exercice de mathématiques, abandonnée au profit de la révision du vocabulaire d’Anglais et d’Allemand, Sylvain, n’ayant pris de repas ni pour le matin ni pour le midi, reçut enfin Julie chez lui, ses parents étant aussi au domicile. Il l’accueillit par une embrassade, un baiser et une petite caresse sur la joue, le tout agrémenté de la formule de politesse adaptée.

 

« C’est bon, dit Sylvain, mes parents sont d’accord pour que tu restes manger ici ce soir.

-Ouah, super, comme ça tu pourras m’expliquer comment lire ce livre.

-Si tu veux, allez, viens dans ma chambre. »

            Ils entrèrent dans le domaine de Sylvain. Les lapins abondaient, quelques affiches anti-nucléaire, pour le bio et divers posters, d’une fascinante éclipse totale de Soleil, d’une luxuriante forêt équatoriale, un planisphère reconstitué à partir des photographies de la Terre depuis l’espace, étaient fixés sur les murs. Le drap du lit n’avait pas été fait car Sylvain savait que ses lapins le décalaient tout le temps. D’une petite bibliothèque, Sylvain sortit un exemplaire du livre de Reinhard Schäckorter, Des mœurs et de l’écologie profonde.

 

« Oui, dit-il, je vais t’expliquer comment il faut le lire. Au départ, c’est assez simple, il suffit de le lire une fois d’un bout à l’autre sans trop réfléchir. En fait, il est assez bien fait, bien structuré, mais même à la première lecture, il faut quand même bien garder en tête ce qu’on a vu dans l’introduction.

-Elle est longue ?

-Oui, mais il fallait bien ça. C'est là qu'on explique les bases de l’écologie profonde, qu’est-ce que c'est que la Nature, comment les plantes et les animaux en sont arrivés là, plein de choses qui servent à mieux comprendre ce qu’il faut faire et pas faire dans les mœurs d’un vrai écologiste. Tiens, si tu veux, on va lire le début ensemble, ça fait longtemps que je l’ai pas lu je me rends compte… »

            Et c’est ainsi que Julie s’embrasa pour le livre de Schäckorter. Quelle merveille ! C’était manifestement une révélation faite aux humains, un cadeau là pour tous nous sauver ! Et en plus, c’était vrai que le niveau de réflexion volait très haut, on dépassait presque tout ! Quelle chance que la famille de Sylvain en avait trois, comme quoi, le hasard faisait bien les choses…

            Sylvain lui expliquait d’autre part comment il fallait relire ce livre :

 

« Donc, quand tu le reliras, tu feras bien attention à chaque passage et tu essaieras de bien comprendre ce qu’il faut faire et pas faire dans la vie de tous les jours. »

            Il s’interrompit car son père venait d’ouvrir la porte entr’ouverte et vérifier que tout se passait bien.

« Ah, tu lui fais lire le livre.

-Oui, répondit Sylvain, je lui explique aussi qu’il faut bien relire les passages où on explique les mœurs pour bien les appliquer. »

            Sans que les autres comprennent tout de suite pourquoi, Gérard soupira profondément.

« En y repensant, c’est pas si facile que ça…

-Comment ça ? demanda Sylvain.

-Didier me l’a redit hier, on fait pas les choses exactement comme il faut, il voudrait qu’on aille plus loin, jusqu’au bout. »

            Sylvain fronça les sourcils.

« C’est vrai qu’on en fait déjà pas mal, lui-même dit qu’on fait mieux que bien d’autres gens, mais il a raison en disant qu’on ne fait pas tout comme on devrait… On a encore des objets en plastique, comme nos stylos, nos classeurs, on n’a que des lapins et un chien protégés sous notre toit, et puis, à y repenser, le bio c’est pas naturel, ça reste de l’agriculture, c’est pas de la cueillette.

-C’est vrai, renchérit Sylvain, regardant le planisphère avec son plastique, quand on y pense, on pourrait faire mieux. »

            Julie suivait avec attention ce discours qui dépassait son niveau en matière d’ écologie profonde, bien qu’elle en comprenne le sens principal.

« D’un côté, on a déjà progressé, reprit son père. Je me suis rendu compte que ces panneaux solaires n’étaient qu’une arnaque, alors je les ai revendu. En fait les énergies renouvelables ça règle pas le problème. A la limite, une pierre qui sert de four solaire en été, pourquoi pas, mais l’électricité, non, ce sera jamais la solution vu que c’est justement ça le problème.

-Et si on s’y mettait ? demanda Sylvain avec enthousiasme.

-On pourrait, oui… Je me rends compte que c’est très difficile de ne pas se résigner même quand on sait ce qui est révoltant, mais… - il soupira à nouveau - Oui, on pourrait essayer, on pourrait mener ce combat jusqu’au bout, mais il va falloir se serrer les coudes, d’accord ? »

            Sylvain et Julie firent « Oui » de la tête.

« Bon, alors je vous laisse vous instruire, conclut-il. C’est vous qui allez jouer le plus grand rôle dans cette histoire, alors préparez vous bien. »

            Il se retira. Les jeunes sentirent de tout leur esprit leur avenir, leurs responsabilités, l’idée épique et mystérieuse de tous les changements globaux futurs ; ils auraient pu le prendre comme un fardeau écrasant, mais ils préférèrent en faire une force, car ils étaient convaincus d’appartenir aux petits messies de l’humanité dont l’ascension ne faisait que commencer.

« Bon, déclara Sylvain, même si Papa ne suit pas les choses jusqu’au bout, je le ferai, je continuerai, je ne me résignerai pas. Il peut se relâcher, il peut oublier toutes ses valeurs, mais moi, je n’abandonnerai jamais. Et le meilleur moyen pour le faire, c’est de bien comprendre les choses, donc je me remets à la lecture avec toi.

-Ouais, pour faire ce rêve à deux ! rajouta Julie de bon cœur. »

            Sylvain sourit en gémissant de soulagement et d’apaisement pendant qu’il prit Julie dans les bras et qu’elle fit de même.

 

            Les rayons du puissant astre de lumière perdaient de leur ampleur chez Sylvain, étant de plus en plus filtrés par l’atmosphère en ce point ; quelques banals nuages parsemaient le ciel crépusculaire, et pourtant, quelque chose ne tournait pas rond. Du haut du balcon, Sylvain et Julie observaient le paysage de campagne qui s’offrait à eux, avec ses vastes champs et ses sombres forêts, ses petites maisons et ses sauvages vallons, ses vaches paisibles et ses buses chasseuses, mais une question demeurait.

« Dis moi Sylvain…

-Oui ?

-Est-ce que le paysage a toujours été comme ça ?

-Bien sûr que non, les cultures ont changé, des routes ont été construites et reconstruites…

-Non, pas ça. Je voulais dire… Tu vois, j’ai l’impression que tout ce qu’on voit au loin parait plus blanc, comme s’il y avait quelque chose qui nous masquait la vue. »

            Sylvain ne put s’empêcher de porter sa main à sa bouche, réfléchissant sur cet étrange phénomène.

« En fait, je crois que ça y était pas avant, du moins, pas comme ça. Et j’ai bien peur que ce soit le signe que nous vivons dans une atmosphère de plus en plus polluée. Et ça veut aussi dire qu’il va faire de plus en plus chaud, jusqu’à… En fait je sais pas. »

           

Quelque chose dans le ciel attira l’attention de Julie. Pour un novice, c’était une espèce de grand oiseau blanc, très indécent par sa malpropreté apparente, qui en faisait profiter tout le monde en voyageant très vite, ignorant le fait que c’est grâce à ces sales « oiseaux » métalliques qu’on pouvait aller au bout du monde en deux temps trois mouvements, qu’on établissait des communications postales, humaines et matérielles entre différents individus, que la situation humaine mondiale avait aussi été bouleversée à cause de cela, que ce soit pour les bas ou les hauts. Pendant la traversée fulgurante de l’ « oiseau » mécanique, la course du Soleil approchait à grands pas de sa fin visible.

 

« C’est dingue… déclara Julie. Sébastien m’a montré sur sa caméra numérique son voyage en avion. J’y suis déjà allée aussi, pour aller à Munich, mais je regrette. D’un côté, j’avais que sept ans. Si tu savais tout ce dont il n’y a pas besoin dans les avions : des écouteurs pour la radio, des repas tout faits, immondes et empoisonnés, des revues avec des couvertures en plastique, des écrans pour les films, des trousses de soins pas du tout homéopathiques…

-Tout ça ? Y en a qui parlent de confort, mais moi j’appelle plutôt ça un crime, une aberration ! Il faudrait que les gens apprennent à se priver si on veut avancer…

-Oui, mais t’as pas tout vu : tout ce que je t’ai dit, c’est déjà vivre comme des rois, mais avec la première classe, c’est carrément pire ! Des jeux-vidéo, des lits couchants, des lecteurs CD et DVD…

-Quoi ? Parce que ce que tu m’as dit avant, c’était pas le plus luxueux ?

-Non, c’était la seconde classe.

-Aaaaah ! cria Sylvain. Parce qu’il y en a à qui ça suffit pas de vivre comme des rois, il faut qu’ils vivent comme des empereurs ?

-Ben oui, c’est ce qu’ils pensent… »

            Sylvain avait l’air fort énervé, outragé par cet immense crime innommable contre mère Nature. Comment pouvait-on juste penser créer de telles choses ? Et comment pouvait-on les faire vivre avec son porte-monnaie sans ressentir une profonde culpabilité ? Une de ses convictions s’affirma encore plus : Il ne faut jamais prendre l’avion ! Non, il fallait faire quelque chose, réagir…

 

« Je ne les laisserai pas faire ! déclamait Sylvain. S’ils ne peuvent pas sauver l’humanité, nous le ferons ! S’il faut que je me sacrifie, je me sacrifierai, s’il faut qu’on se sacrifie tous, on se sacrifiera tous ! Si en plus je dois combattre, je combattrai ! Et je pense qu’il faudra beaucoup se sacrifier et combattre tous pour tous, alors on le fera, et l’humanité sera enfin sauvée, quel qu’en soit le prix pour elle ! »

            A ce moment, le dernier morceau d’un Soleil rouge sang venait juste de disparaître par delà l’horizon ; pour Sylvain, Julie, et même Gérard et Christine, l’inexorable course de l’astre n’était plus visible. Devant le balcon, en dessous d’étranges nuages bien plus violacés que roses, les champs, les forêts, les maisons s’assombrissaient : il était venu le tour de la nuit.

 

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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 10:13

Samedi :

 

Malgré l’absence de cours au lycée le Samedi matin, Sylvain devait se lever un peu plus tôt que naturellement, mais c’était pour la Nature. Il appréciait beaucoup les Samedi matin à cause de l’intervention de Didier, leur interprète des Mœurs et de l’écologie profonde ; le jeune écologiste nourrissait beaucoup d’admiration pour ce personnage modèle, et il pensait avoir  bien fait en laissant les volets ouverts : un Soleil levant très ressemblant à celui de son rêve le mit debout.

 

En se levant et après de banales salutations, Christine lui annonça le programme :

« Bon, aujourd’hui on va voir Didier, comme tu t’en doutes.

-Et est-ce qu’on va pique-niquer cette fois ci ?

-Oui, mais je pense pas qu'on ira se promener cette fois. Orage.

-Ah oui, tant pis. » répondit Sylvain.

            Cette promenade l’aurait arrangé, car cela lui aurait permis de repousser les repoussants devoirs à plus tard, qu’il n’aurait même pas dû noter sur son agenda parce que de toute façon, ils ne servaient à rien, et même s’ils servaient à quelque chose, ce n’était qu’à continuer cette espèce de bourrage de crâne qu’on vomissait en cours.

 

           Dix heures passées ; une clairière dans un joli recoin de la campagne avec un ruisseau bordé de pierres granitiques, des arbres feuillus assez espacés pour que les rayons du Soleil matinal percent de part et d’autre, illuminant l’herbe rase qui pouvait ainsi diffuser sa douce couleur vert clair et perdre ses dernières gouttes de rosée. C'est dans ce lieu que débuta la réunion comprenant Didier, Gérard, Christine et Sylvain.

 

« Ah, vous voilà, déclara Didier.

-Oui, répondit Gérard, même si tout se passe pas pour le mieux pour Sylvain.

-Allons, qu’est-ce qui s’est passé ?

-Il vous en parlera. Ah oui ma chérie, tu sais, ce que tu as fini hier, enfin, tu vois. »

            Christine ôta alors le drap qui recouvrait un large panier en osier afin d’en sortir une espèce de sphère faite de morceaux de bois mort mais encore solide assemblés au moyen de ficelles, sphère que l’on pouvait poser sur une base aplatie. Un fin maillage sur la surface avait permis, avec parfois l’aide de ficelles, de fixer diverses fleurs, feuilles, morceaux d’écorce, tout un amas de végétaux aux couleurs éclatantes et assez variées.

« Oh, que c’est gentil, vous auriez pas dû… dit Didier par convention humaine plus que par nature.

-C’est une espèce de planète végétale, commenta Christine.

-Allez, prends le, répondit Gérard, tu l’as bien mérité après tout ce qu’on a fait ensemble, Christine a pris pas mal de temps pour le faire et le refaire bien.

-Bon, d’accord. »

            Il prit le cadeau qu’on lui présentait.

« Ah oui, reprit Gérard, je voulais te demander quelque chose.

-Vas-y, répondit Didier, je t’écoute.

-Tu sais, il y a quelques semaines, tu m’avais parlé d’un philosophe avec une citation en Latin… Il y avait un lien avec cette histoire de volonté de la Nature… »

            Didier chercha dans sa mémoire pendant un court moment.

« Ah, ça devait être Spinoza.

-Voilà, Spinoza !

-Oui, Spinoza avait dit « Deus sive natura », ce qui veut dire « Dieu, c’est-à-dire la Nature ».

-Voilà, et donc ça explique tout : sa volonté illimitée, la perfection naturelle, la punition divine…

-C’est ça, sauf que tu oublies quelque chose : d’où sont sortis les humains ?

-Ah, c’est vrai, bonne question.

-Et c’est très important, alors écoutez bien. Lorsque mère Nature a créé le monde en transformant l’amas chaotique de matériaux instables selon sa propre volonté, elle avait créé une perfection qui formait un tout. Dans l’introduction des Mœurs et de l’écologie profonde, Schäckorter nous dit : « chaque élément faisant partie d’un Tout, car tout était en relation optimale avec le Tout dans une harmonie auto-conservatrice que rien ne perturbait. ». Seulement voilà, la Nature a beau être parfaite, elle avait fini par s’ennuyer de sa création et décida de prendre un risque afin de rompre la monotonie.

-Et c’est là qu’elle créa les humains.

-Oui, mais au début, ils étaient faibles ; ce n’est que parce que la Nature a décidé de leur confier de son pouvoir – qui lui est limité - de telle façon à ce que l’homme ait la possibilité de devenir plus fort au fur et à mesure que le pouvoir de la Nature décroît, que les humains ont pu devenir forts au détriment de notre mère à tous. Mais la Nature est imprévisible, et elle peut très bien reprendre le pouvoir qu’on lui a volé si on continue à ne pas la respecter.

-Mais alors pourquoi elle a créé les humains ? demanda curieusement Sylvain.

-Il y a sûrement une raison qui nous transcende, parce que tu sais bien qu’elle est parfaite. Peut-être qu’elle voulait juste s’amuser ? Roh, non, elle a dû faire en sorte à ce qu’on ne puisse pas savoir. »

            Courte pause.

«Mais ce Spinoza, reprit Gérard, il était pas avec l’écologie profonde, mais alors qu’est-ce qu’il pensait ?

-Ah, Spinoza… répondit l’interprète. Il était panthéiste, il pensait que toute la Nature, que ce soit les pierres, les plantes, les bêtes et même les hommes, formaient un tout divin. Des tribus d’Amérindiens pensaient faire partie de la Nature, mais… »

            Comme Didier ne voulait pas finir sa phrase, Sylvain plaça sa pensée personnelle :

« Ah, c’est intéressant, même si je suis pas d’accord, mais ça change du discours de ceux qui veulent tout dominer, je comprend mieux ces gens là. »

            Didier le dévisagea d’un drôle d’œil tandis que Gérard adressa à son fils une moue mêlant la honte à l’idée « Ca ne se fait pas ! » teintée de violence ; Sylvain se résigna et baissa les yeux et la tête, devenu prêt à boire tout le reste du discours.

 

            Midi ; bien que le Soleil n’était pas à son zénith en raison du décalage des montres avec l’heure réelle, solaire, les écologistes se soumettaient à l’horloge et à cette habitude française qui consiste à prendre un repas peu après le midi de l’horloge ; c’était un pique-nique végétalien dans la clairière sous un ensoleillement vivifiant. Après un instant de réflexion, Sylvain demanda :

 

« Ah oui, Papa…

-Oui ?

-Julie m’a dit qu’elle aimerait bien que je lui prête le livre de Schäckorter, et c’est pour te demander si je pourrai emprunter le tien ou celui de Maman pendant que je lui prête le mien. Tu sais, normalement…

-Oui, normalement, c’est un chacun. Mais je veux bien te prêter le mien pendant que tu lui prêtes le tien si tu veux. »

            Didier avait l’air méditatif, les lèvres pincées. Il dit finalement :

« D’un côté, Gégé, deux livres feront bien l’affaire pour trois.

-Oui, c’est ce que je me disais.

-Et puis, si on peut être généreux sans perdre trop, autant en faire profiter ceux qui ont tout à gagner par ce don. »

            Gérard réfléchit – ou cogita ? - pendant une seconde.

« Oui, c’est vrai, on pourrait lui donner.

-Ben tu vois.

-C’est vrai, je me disais que le mieux, c’était un chacun, mais autant les donner aux autres, surtout s’ils en ont envie.

-Sylvain, tu veux encore des tomates ? demanda Christine.

-Oui s’il te plaît. »

            Etait-ce cette question qui donna subitement envie à Sylvain de prendre des tomates ? Ou était-ce la peur de blesser l’autre en refusant ce qui semblait - à tort - une proposition de don, qui lui fit dire sa réponse ? Ou bien autre chose ? Dans tous les cas, Sylvain ne risquait pas de le savoir étant donné qu’il ne se posait même pas la question après avoir laissé échapper ce « Oui s’il te plaît. » pulsionnel.

            Christine lui servit des tomates ; elle n’avait pas du tout songé qu’elle aurait pu « savoir » que Sylvain en voulait sans donner satisfaction à ce désir ensuite, tout en étant très logique. Son geste fut lui aussi très pulsionnel.

           

            Peu après le repas, Sylvain confia ses difficultés au lycée à Didier :

 

« En fait, ils veulent rien comprendre, et même en leur expliquant, ils se mettent tous contre moi et arrêtent pas de me détruire. Ca me fait beaucoup de mal parce que ça me donne l’impression qu’on n’y arrivera jamais, qu’on va finalement tous mourir… »

            Didier fut pris de compassion pour comprendre la douleur que Sylvain avait vécue, mais pas assez pour réfléchir posément au problème et répliquer :

« C’est vrai qu’en voyant certaines personnes, on peut penser qu’on court à la perte de l’humanité, mais crois moi, nous avons beaucoup plus d’alliés que tu ne le crois.

-?

-Oui, même s’ils n’ont pas tout compris et encore moins appliqué. Les gens normaux les entendent souvent à la télé, à la radio, dans des publicités, dans la presse, dire qu’il faut consommer moins ou encore prôner la « retraite durable », chose bien plus idéale que le développement durable si tu veux mon avis. On explique de plus en plus aux gens qu’il faut savoir se priver d’électricité ou encore manger naturel avec le bio et non pas l’horreur de la chimie, et crois moi, les gens commencent non seulement à voir le problème mais aussi à comprendre et un peu à agir dans le même sens que la Nature, et c’est pour ça que je suis confiant. Mais comme ces écologistes ne sont pas assez profonds et qu'ils vivent souvent encore comme des petits rois, une fois qu’ils nous auront assez aidé, on prendra le relais en les écartant pour pousser les choses jusqu’au bout, sinon on ne sera pas sauvés pour l’éternité. Mais ça, tu n’en parles à personne, ça reste entre nous, d’accord ? »

            Sylvain aquiesca d’un signe de tête.

« Bon… »

 

Des alliés qu'il faudra éliminer ? pensait Sylvain. Finalement y a pas besoin de partir à l'aventure pour qu'il y ait de l'action, suffit d'être écologiste et d'attendre un peu...On verra bien ça.

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27 septembre 2009 7 27 /09 /septembre /2009 18:48

Vendredi :

 

            Rassuré par son arrivée à l’heure la veille et constatant que le ciel de nuit était voilé, ne pouvant laisser venir la douce lueur de la Lune, Sylvain avait fermé les volets de la fenêtre de sa chambre. Et c’est ainsi que les rayons du Soleil, Vendredi matin, durent se faire plus forts pour faire émerger Sylvain de son sommeil, et ne renonçant point à ses habitudes matinales, il eut une bonne raison de ne pas déambuler à toute vitesse avec son vélo dans la ville. Ca vaut pas le coup, se disait-il.

 

            Huit heures et demie, quelque part dans les bureaux de l’administration du lycée :

 

« Encore vous ! beugla M.Chantelort. Vraiment marre de vos… jamais vu… laisse tomber cette fois ci… devrais vous amenez au conseil de… faites vraiment exprès pour… m’en vais… besoin de me reposer… m’en moque… pas si je vais revenir Lundi… »

            Sur ces paroles synonymes d’un accident de travail pour leur locuteur, ce dernier se mit à déserter le lycée sans que personne ne l’en empêcha du fait de son autorité. Marc, un surveillant fort agacé par cet épisode, se présenta devant Sylvain afin de lui faire part de ses sentiments :

« Et voilà ! Tu lui as fait péter les plombs ! Tu vas vraiment avoir des problèmes à cause de ça, M.Chantelort n’est pas du genre fainéant, et un… un fainéant comme toi le rend complètement dingue ! … vas devoir aller au bureau du proviseur… changer de carnet… devoir t’apprendre la discipline… prétextes ridicules… tu n’es qu’un…

-… »

 

            Après un séjour pas si gratuit dans le sinistre bureau du proviseur où il faisait très, très chaud, ce à quoi on pouvait s’attendre au vu de la météo des derniers mois, où les tempêtes sévissant dans le bureau du CPE n’étaient en fin de compte que le signe précurseur d’un pénible et violent ouragan administratif, Sylvain s’échappa de ce préjudice par la grâce d’un chef exaspéré afin de se réfugier…

 

Mince ! En plus, c’est le cours de Maths ! Quelle plaie…

 

            L’accueil y fut beaucoup plus froid étant donné que la majorité de la classe cherchait et réussissait presque à être au bord de la somnolence, bercée par les paroles du professeur qui faisait la correction d’un devoir manqué.

 

« Ah, Sylvain, fit-il. Je pensais que tu étais absent, demande à Julie de te donner ta copie. »

Sylvain s’installa, quelque peu attristé, prêt à lui aussi s’égarer dans une autre dimension.

« Tiens, de toute façon c’était pas de notre niveau. »

 

5. Pas grave, je vais pas en S. Je me rattraperai sur l’Anglais.

 

            Pendant la récréation de dix heures, Emilie, déléguée contre son gré ayant assisté au conseil de classe du deuxième trimestre, distribuait les comptes-rendus personnels, avec avis sur l’orientation.

 

« Tiens, Sylvain, c’est pour toi. »

            Ce dernier prit le morceau de papier qu’on lui tendait. 10,8 de moyenne, avis favorable pour la première littéraire.

« Ouais, je vais sûrement passer en L !

-T’as eu « avis favorable » ? demanda Fabrice. Moi aussi, je pensais même pas avoir « avis réservé », mais je vais peut-être passer en S.

-On sera peut-être dans la même classe, remarqua Sébastien.

-Oui, … »

            Sylvain s’était déjà détourné et se dirigeait vers la cours intérieure, « pour trouver Julie » s’était-il dit.

           

Par chance, il la retrouva, néanmoins, elle était au beau milieu d’un commérage avec Marion et Mathilde :

 

« Moi j’y crois pas trop, dit Mathilde.

-De quoi vous parlez ? demanda Sylvain.

-Du sac que Maxime avait perdu en cours de sport. En fait, les profs d’EPS l’ont retrouvé caché dans un coin des douches et disent que quelqu’un dans la classe avait voulu faire une mauvaise blague.

-Moi je dis que Fabrice l’avait quand même volé, reprit Mathilde, et qu’il l’a remis après pour pas se faire prendre.

-Moi aussi, je croyais que Fabrice l’avait volé, répliqua Marion, et ça aurait très bien pu être lui, mais les profs doivent avoir raison.

-En tout cas, renchérit Julie, c’est sûr qu’il aurait pu le faire, moi je m’en méfie des gens comme ça, on sait jamais de quoi ils sont capables…

-Ouais, rajouta Mathilde, en plus ils ont rien à faire là. A chacun sa place. »

            L’expression des filles traduisait un consensus mêlé de cogitation plus que de méditation.

Dire qu’il sera encore là l’année prochaine… pensait Sylvain.

 

            Durant la pause entre midi et deux heures, dans un couloir, Sylvain tenta de passer à côté du trio de Nicolas, Maxime et Victor, mais il fut intercepté.

 

« Ah, quand on parle du loup… lança Victor.

-Tiens, te voilà Sylvain, dit Nicolas en obstruant le chemin de l’écologiste juste assez pour que celui-ci soit dissuadé de juste passer, des ricanements en bruit de fond. Avec Victor et Maxime, on a trouvé un super moyen pour que tu puisses aller en Allemagne…- il prit une voix doucereuse- pour voir la p’tite Andrea. »

            La mine de Sylvain traduisait un certain agacement, mais il se laissa tenter d’intérêt par l’énigme de ce moyen. Maxime et Victor regardaient quelque chose qu’ils cachaient et qui les faisait beaucoup rire.

« Tu vas y aller en bateau !

-?... Mais comment ?

-Rah… T’as perdu ton talent, tu vas finir par perdre ton titre de champion…

-Mais comment tu veux que j’y aille ? Et avec quel bateau ?

-Allez, montrez lui. »

            Du beau milieu d’une atmosphère de ricanements émergea un simple origami qui ressemblait beaucoup à un chapeau, mais qui était censé représenter un bateau.

            Les rires éclatèrent de plus belle lorsque le trio aperçut l’expression de Sylvain, qui fut d’abord une caricature de quelqu’un à qui l’on fait une mauvaise légère surprise, puis celle d’un individu qui réfléchit, la main sur le menton, la tête baissée et les yeux détournés.

« Ouarf, fit Maxime, tu prends… »

            Sa phrase inachevée laissa place à un éclatement de rire ; lui et Victor étaient pliés, le souffle de temps en temps coupé.

« Tu prends le… Hahahaha ! le bateau… pouffa-t-il.

-Sur le ruisseau à côté de… tenta de compléter Victor.

-Tu prends le bateau sur le ruisseau à côté de chez toi ! acheva Nicolas avant d’être lui aussi plié de rire. 

-Tiens ! ordonna Maxime. Tiens ! »

            Le fou rire était tel qu’il lâcha le bateau en papier au lieu de continuer à le tendre impérieusement. Sylvain ayant horreur des déchets qui traînent, il le ramassa.

« Oh ho ho ! fit Victor en montrant Sylvain du doigt, son regard se jetant tour à tour sur Sylvain et le reste du trio.

-Mouhahahahaha ! »

 

Qu’est-ce qu’ils sont pas soigneux, je dois faire le boulot à leur place…

 

            C’est ainsi que Sylvain s’éclipsa à cause de cet origami, et le trio ne comprit pas ce qui s'était passé. Sylvain passa à côté d’une poubelle, non pas qu’il ne l’avait pas remarqué, mais c’est qu’il s’imposait d’être très économe, et les professeurs qui préconisaient des cours « aérés » lui faisaient horreur.

 

De quoi ils veulent parler en disant que j’écris un pâté ? se redit-il à cet instant.

 

            Plus tard, dans l’après-midi, lors de la récréation, Sylvain se réfugia vers Damien et Franck afin d’éviter les douloureux sarcasmes de Nicolas et de ses deux acolytes.

 

« Ah ouais, en tout cas, c’est pas le genre d’études que je pourrais faire, dit Damien.

-Oui Sylvain, demanda Franck, tu veux quelque chose ?

-Non, enfin… De quoi vous parlez ?

-De mon père qui est ingénieur à EDF, Damien se demandait…

-Bon, fit Damien subitement apeuré, vous irez parler de ça tous les deux, moi j’ai pas envie d’entendre une autre dispute. »

            Sur ce, Damien partit à grands pas, Franck le suivit.

« Attendez ! s’exclama Sylvain à leur poursuite. »

            Franck finit par se résigner au bout d’une dizaine de mètres.

Bon, je vais essayer de pas m’énerver, se dit-il.

 

« Oui, qu’est-ce qu’il y a ?

-C’était pour parler de ton père.

-Oui, il est ingénieur à EDF, pourquoi, t’as décidé de devenir ingénieur ?

-Ingénieur ? Si c’est pour décider si on va produire cette saloperie ou celle là, c’est pas la peine, et encore moins à EDF !

-Tu sais, il y a quand même une certaine liberté, et on peut aussi chercher des procédés et des produits non polluants.

-Ouais, c’est ça, répliqua Sylvain, et McDo c’est comestible, tant que t’y es ?

-Ben oui, même si on peut penser le contraire.

-Il a pas honte ton père ?

-Honte de quoi ? Au contraire, il fait de la recherche dans les énergies renouvelables et rêve d’en découvrir une nouvelle.

-Pfff… De toute façon, on nous ment sur ces énergies renouvelables, et c’est le nucléaire qui va devenir de plus en plus destructeur pour l’environnement et le climat.

-Euh… Juste pour te dire, le nucléaire, ça rejette pas de gaz à effet de serre, tu inventes là.

-Comment ça « ça rejette pas de gaz à effet de serre » ? Et les poissons morts dans les rivières polluées, ça rejette pas du CO2 ?

-Euh… Ouais ben toi aussi quand tu parles, tu rejettes du CO2. »

Sylvain s’arrêta, abasourdi.

« Euh… Oui, c’est vrai, mais ça fait aussi partie des sacrifices à faire si on veut que tout le monde fasse pareil. Parce que j’en vois, des petits princes qui mettent des lumières partout, qui ne mettent pas en veille leurs appareils, qui laissent les voyants allumés alors qu’il y en a pas besoin, oh et puis…

-De toute façon, mon père me l’a dit, les vrais responsables, c'est pas les consommateurs lambda, c'est les industries. C'est de leur faute si on garde les techniques nocives pour l’environnement, genre rejeter du gaz à effet de serre, brûler du pétrole pour en faire du plastique alors qu'on peut utiliser des matériaux de substitution... Et puis, il suffit pas de consommer moins pour qu’on produise moins, EDF va pas ajuster sa production dès que quelqu’un a décidé d’éteindre la lumière au niveau individuel, alors faudrait arrêter de culpabiliser les gens qui vivent dans des bonnes conditions en laissant les politiciens gesticuler sans rien faire, notre part dans le problème est infime. Et quand j'y pense, c'est EDF qui produit et qui demande aux gens d'économiser, tout ça pour quoi ? Pour baisser la production ! C'est à se demander si c'est pas pour rejeter la faute sur les autres...

-Pffff… Je croyais que t'avais compris, mais en fait pas du tout.

-Bon, c’est vrai, maintenant il y a quand même des efforts de faits, au moins une volonté de faire des efforts, mais c’est pas gagné. »

            Fabrice passait par là et essayait de comprendre ce qui se passait.

« C’est sûr qu’avec des criminels comme toi et ton père, on va tous crever ! Il va encore nous pondre un produit chimique en nous faisant croire que c’est propre… Je retire ce que j’ai dit tout à l’heure : il faut carrément vivre sans électricité. Comme si on avait besoin d’ampoules alors qu’on a les bougies…

-Parce que tu vis à la bougie ? demanda un Fabrice hors de lui.

-Oui, et j’en suis fier ! Je suis en avance sur mon temps, car l’avenir, c’est pas le laser,

c’est la bougie, et ça les fidèles à la Nature l’ont bien compris !

-En avance sur ton temps ? On dirait plutôt Rambo le préhisto !

-Et en plus, si on veut pinailler comme l’autre fois, remarqua Franck, la ficelle de la bougie ça laisse du CO2 en brûlant, tu parles d’une méthode écologique…

-Tu l’as dit bouffi ! renchérit Fabrice, retrouvant un certain calme.

-Mais enfin, c’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu !

-Ouais, rétorqua Fabrice, et ben vive l’humanité entière en sous-développement, comme ça, plus d’inégalités ! Super…

-Mouais, rajouta Franck, en tout cas, peut-être que mon père a des cartes entre ses mains, mais nous, on n’est pas vraiment des joueurs, on est plus des observateurs.

-Oui, et il y en a qui veulent jouer mais qui ne peuvent pas, comme moi, continua Fabrice.

-Ouais, et le pire, c’est qu’il y en a qui croient jouer alors qu’en fait…

-Alors qu’en fait ce sont des pions, comme toi Sylvain. »

 

Un très lourd silence rendait la situation encore plus écrasante pour Sylvain. Fabrice le dévisageait d’un regard défiant droit dans les yeux, jetant un index contre-accusateur tel une flèche renvoyée par un bouclier-miroir, très sûr de lui dans son attaque contre la personne de Sylvain. Cette attaque avait réussi car il avait frappé sans le savoir sur le talon d’Achille ; son nom : « Gérard ».

 

« Si ça se trouve, reprit Fabrice, tu seras mort avant nous vu que tu prends pas de médicaments, et nous on se sera sortis de ce problème sans avoir eu besoin des types comme toi. Ce qu'on a besoin, c’est des bons scientifiques à qui on laisse vendre leurs produits écologiques à bas prix, et je crois que s’il y a un héros par ici, c’est le père de Franck.

-Oh, arrête… fit Franck par modestie volontaire. Beaucoup de gens auraient fait pareil s’ils avaient pu, c’est pas un héros…

-Mouais, t’as raison. En tout cas, Sylvain…

-Quoi ? répondit-il. »

 

            Trop tard, ils étaient déjà partis. Jamais de la semaine Sylvain ne se sentit autant délaissé, jamais une dispute ne l’avait autant blessé, et jamais la cogitation fut aussi intense, aussi rapide, aussi confuse qu’elle ne l’était cette fois-ci, toutes les parties internes se battant dans une lutte intestine de tous contre tous reflétant les conflits extérieurs, les contradictions mises à la lumière du jour, les doutes refoulés hautement exprimés, les édifices de ses convictions violemment secoués par un puissant coup de marteau fort bien ajusté.

 

            L’esprit peu apaisé à dix huit heures à cause de sa haine pour le cours de Physique-chimie, Sylvain s’échappa de cette espèce de prison avec sa propagande dans les cours et ses policiers dans la cour, le pas pressé et irrité. Il se résigna à s’arrêter devant un groupe bloquant l’issue.

 

« Eh, Sylvain ! s’écria joyeusement une fille à la voix familière. »

            C’était Mélanie, dans les bras de Laurent, secouant la main à son adresse.

Qu’est-ce qu’elle me veut ? Non ! C’est sûrement lui qui a monté tout ça, il en est bien capable, ce fumier! Je réglerai tout ça plus tard, j’ai pas le temps.

 

            Et en voyant un Sylvain très perturbé, la démarche semi lourde semi rapide, les poings et dents serrés, le regard pas net, Franck et Fabrice eurent mauvaise mine aux côtés de Sébastien et Bertrand. Ce dernier déclara :

« Euh… Vous y êtes pas allé un peu fort ?

-Peut-être… répondit Franck.

-On aurait peut-être pas dû… rajouta Fabrice. D’un côté, c’est lui qui a commencé.

-Moui, et lui dirait que c’est Franck, commenta Bertrand. C’est jamais facile de savoir qui a commencé le conflit.

-Je dirais quand même que c’est lui, dit Sébastien.

-… »

 

Quelque soit celui qui avait fait la première erreur, Sylvain fut tellement dégoûté que ce jour ci, il renonça à lire le livre.

 

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21 septembre 2009 1 21 /09 /septembre /2009 16:04

Jeudi :

 

            Assez tôt dans la matinée, le sommeil de Sylvain fut troublé par les jappements de son chien, un berger allemand nommé Nounours, qui voulait faire un tour dehors ; tous ces aboiements répétitifs, avec de surcroît les rayons du Soleil levant, achevèrent de réveiller le lycéen.

            Après le rituel d’avant les cours - qui ne comprend ni savon ni shampooing ni gant de toilette ni dentifrice -, le jeune écologiste sauta sur son vélo, espérant ne pas subir les tempêtes matinales de son supérieur :

 

J’espère que j’aurais pas encore affaire à lui cette fois ci…

 

            Huit heures  ; cours de SVT.

 

« Ah, je vois que tu peux arriver à l’heure, lui murmura Emilie. Je savais que tu pouvais le faire. »

            Sylvain ne sut que répondre. Le cours portait sur l’ADN –Acide dé… ? se demandait l’écologiste-, et durant cette heure et demie de « travaux pratiques », on apprenait quelque chose de capital, à savoir que le code de l’ADN est universel, avec toutes les conséquences épatantes que cela entraîne sur la compatibilité génétique. Depuis qu’on avait parlé de bases azotées, de nucléotides et de phosphates, Sylvain avait fini par lâcher le fil du cours de SVT, n'arrivant pas à reconnaître le lien étroit avec la chimie, et ainsi manqua le principe fondamental de la création moderne d’OGM. Et Sylvain s’ennuyait, dessinant des arbres puis un paysage de forêt, sans quelconque envie de suivre ou noter le cours.

 

            Plus tard, lors de la récréation à dix heures, Sylvain se trouva à parler avec Emilie :

« …tu devrais lire ce livre, c’est la clé pour nous sortir de ce problème, dit-il. »

            Emilie avait la tête ailleurs et fit « Mmhm » brièvement, ramenant le sujet sur quelque chose qui l’avait marquée :

« Mais dis-moi Sylvain, pourquoi tu te laves jamais les cheveux ? Ils sont tout gras.

-Ah, ça… Oh, il suffit de les couper. »

            Elle le dévisagea avec une certaine expression de dégoût, ne voulant pas chercher à savoir si ces espèces de fils trempés dans de l’huile de vidange (non, végétale, et puis, peu importait) mesuraient plutôt huit ou douze centimètres, non, il ne valait mieux pas savoir.

« Oui, donc je disais, reprit-il, la chimie est une folie parce qu’elle ne correspond pas aux volontés de la Nature. Et c’est vrai que la Nature… »

            Emilie n’écoutait pas son sermon, et c’est ce qui l’empêchait de comprendre que les shampoings étaient proscrits dans le mode de vie ascète de Sylvain.

 

            Début d’une longue pause à midi, Sylvain étant en compagnie de Franck, Fabrice, Bertrand et Sébastien.

 

« Woh, fit Franck, j’ai vu le menu et ça m’a l’air bien pourri. Au lieu de ça, on pourrait sortir en ville et manger au McDo.

-Ouais, pourquoi pas, répondit Bertrand, mais c’est chacun qui paye, non ?

-Moi, je sais pas si je pourrai y aller, déclara Fabrice.

-Oh, pas grave, si tu veux, je te le paye, mais juste pour cette fois. Sinon Sylvain, tu peux venir aussi, je payerai à ta place si tu veux, c’est mon jour de bonté !

-Bonté ? Tu parles, je serai à peine rentré que j’étoufferai avec toutes ces vapeurs toxiques…

-Oh, vas y, faut au moins que tu goûtes une fois, même si c’est pour voir que c’est dégueulasse.

-Non, j’ai pas envie. Allez vous empoisonner si vous voulez, mais allez pas vous étonner si vous avez le cancer ou la polio dans quelques années.

-T’inquiètes pas, on fait attention à notre ligne, dit Sébastien.

-Mais c’est pas ça, rétorqua Sylvain, c’est qu’avec tous ces OGM, ces produits traités avec des insecticides et des engrais chimiques, vous allez crever !

-Et ben, répondit Bertrand, on crèvera et ça fera une tellement mauvaise pub pour McDo qu’ils vont tous fermer, voilà. Bon, on court vers le sacrifice ultime maintenant, allez, on y va ! »

            Les autres, Sylvain excepté, rirent gaiement et s’en allèrent vers le premier vrai attentat kamikaze fatidique contre McDonald’s.

 

            Après un repas fort ennuyeux en compagnie de Marion, Mathilde et Elena, trois adolescentes jacasseuses et normales à en être vulgaires (« Dindes et fières de l'être ! »), Sylvain fuit ce qui lui semblait le théâtre lycéen de l’abomination industrielle humaine, se dirigeant vers la cour où il retrouva Sébastien qui semblait aller vers la cafétéria.

 

« Attends ! dit Sylvain. »

            Sébastien se retourna et se résigna à lui accorder un moment.

« Tu voulais me demander quelque chose pour le contrôle de chimie ?

-Pas du tout, j’ai pas révisé et ça sert à rien.

-C’est bizarre, t’es écolo et tu veux même pas savoir comment la nature marche ?

-La chimie, c’est pas naturel, déclara Sylvain sur un ton assuré.

-Euh… si, c’est juste qu’en sachant comment ça marche, on peut la maîtriser. Y a aussi des réactions chimiques dans la nature, comme la cristallisation des laves, la dissolution du sel dans l’eau comme quand les océans se sont formés, toutes les réactions qui se passent dans les êtres vivants quand ils produisent des substances…

-N’importe quoi.

-Me crois pas si tu veux, mais n’importe quel scientifique te dira que c’est vrai. Et puis, en y repensant, la physique, c’est rien d’autre que les lois de la nature vues par l’homme. Et si on arrive à produire de l’électricité, la nature fait bien pareil avec les orages, tout ce qu’on fait, c’est arranger des choses naturelles pour qu’elles fassent ce qu’on leur demande, et pour le faire, il faut savoir comment la nature marche. C’est pas forcément un crime…

-Si, interrompit Sylvain.

-C’est vrai, les bombes atomiques, les armes bactériologiques, ça salit l’image de la science, la science appliquée, c’est ce qu’on en fait. On peut très bien faire des choses bien : des voitures, des ordinateurs, des frigos, des lecteurs CD…

-Tout ça, ça sert à rien et ça déshonore la Nature.

-Roh, là tu exagères. Tiens, prenons un exemple, les OGM.

-Trucs pourris…

-Un OGM, comme son nom l’indique, c’est un Organisme Génétiquement Modifié ; et « modifié », ça veut pas forcément dire qu’il a été mal modifié, au contraire, on cherche à améliorer les plantes en les rendant plus productives, pour qu'elles résistent mieux aux animaux ravageurs, et p't-être qu’un jour, on pourra même les rendre meilleures au goût.

-Parce que tu es pour les OGM ?

-Je suis pas pour les OGM, je suis pour les bons OGM, ceux qui apportent un progrès ; mais c’est vrai qu'actuellement je peux pas être d'accord avec ce qu'on en fait... Par contre, j'ai entendu dire qu'on pouvait créer des poulets à six cuisses, on pourrait p't-être s'en...

-Ah, quelle horreur ! coupa l'écologiste profond. Je comprends vraiment la notion de crime contre la Nature maintenant. (Il soupira, Sébastien souriant à l’écoute de « crime contre la Nature » sans pour autant y mettre des préjugés.) Allez, et tu vas pas me dire que tu es pour la nourriture chimique ?

-Oh, ça dépend. Ce qui est dommage, c’est que quand on veut reproduire un arôme, on a souvent tendance à n’en prendre qu’une partie, comme pour la vanille où on prend que la vanilline. Et c’est sûr qu’il y a beaucoup de saloperies dans nos assiettes, je te le fais pas dire. Mais sinon, j’ai entendu l’autre fois à la radio un chimiste qui disait que l’avenir de la cuisine devrait s’aider de la chimie, qu’on pourrait créer des substances qui ont un goût totalement nouveau et très bon aussi, et qu’en mélangeant la création chimique à la création culinaire, on pourrait inventer plein de super plats qu’on n’aurait jamais pu manger avant.

-Tu parles, toutes les substances chimiques sont mauvaises.

-Pas du tout, et même les substances artificielles ne le sont pas toujours. Tu sais, je préfère manger de la vanilline artificielle plutôt que de l’arsenic naturel, pas toi ?

-Artificielle ? Jamais ! Plutôt mourir ! lança-t-il dans l’émotion. »

            Sébastien sourit à cette préférence qu’il commenta :

« Ca tombe bien, l’arsenic c'est mortel, comme ça t’auras pas besoin de te suicider avec un couteau…ta mort sera plus… naturelle.

-Et ben tant mieux ! ajouta Sylvain. Du moment que je suis dans un cimetière bio…

- ?... Des cimetières bio ? C’est vraiment utile ou c’est de la parano ? Si ça continue, on va faire des fourchettes bio, des bébés bio, des capotes bio… Ca va finir par devenir du n’importe quoi.

-En tout cas, je vois tout de suite que c’est pas avec toi qu’on va régler le réchauffement climatique.

-Woff… En tout cas, c’est pas avec toi qu’on l’aurait découvert. Allez, salut ! »

            Sylvain, une fois de plus isolé, était dans un profond embarras, confronté aux problèmes inhérents à ses thèses. Pour qui se prenait ce Sébastien, cet avocat de l’artifice et de l’industrie ? Comme si la science pouvait apporter du progrès…

 

En fin de compte, on devrait s’en méfier, des gens comme ça… pensait Sylvain. J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt.

 

            Malgré cette pensée, Sylvain marcha aussi en direction de la cafétéria, y retrouvant les kamikazes après un cuisant échec, eux étant encore là, bien vivants, McDonald’s aussi.

 

« Ah oui Sylvain, j’organise une fête ce week-end, annonça Bertrand, si tu veux, tu peux venir, moi ça me gêne pas. »

Les autres eurent une moue de peur et de désapprobation.

« Oh, oui, je veux bien, répondit Sylvain, mais qu’est-ce qu’il y aura à manger et à boire ?

-Du Coca, des cocktails, de la bière…

-Mais vous êtes fous ! Vous pouvez pas prendre des jus de fruits ou de l’eau ?

-Ah, il y aura de l’Oasis, du…

-OK, c’est même pas la peine. Encore un coup à déclencher une grosse hécatombe après une grosse beuverie… Roh, vous me dégoûtez, je m’en vais. »

 

            Et il s’en alla dans une ambiance où seul Bertrand était apte à lui répondre sans trop s’énerver.

 

« Ah ouais, t’avais raison Bertrand, dit Franck, suffisait de lui dire ce qu’on buvait pour qu’il vienne pas.

-Tu vois, mais même s’il avait accepté, je l’aurais laissé venir quand même, il doit pas sortir bien souvent.

-Bwof… fit Franck. »

            Tous sauf Bertrand semblaient du même avis que Franck, pas très enclins à accepter Sylvain après toutes ces disputes. Sébastien changea de sujet :

« Je sais pas pour vous, dit-il en se frottant les mains, mais moi je suis chaud pour le contrôle.

-Ouais, ben tu dois bien être le seul, remarqua Fabrice.

-C’est sûr, ajouta Bertrand. »

 

            Quatorze heures : le fameux contrôle était enfin arrivé, pour beaucoup, la distribution des énoncés fut un moment de peur panique en partie étouffée par l’autorité du professeur. Comme chaque élève, Sylvain reçut sa copie.

 

« Vous avez deux heures, rappela le professeur. »

 

            Sylvain lut l’énoncé :

 

« I) Etude d’une bouteille commerciale de méthane

 

Le méthane, de formule CH4, est un gaz à température ambiante. On étudiera le cas d’une bouteille de méthane d’usage domestique de volume V1=25L.

 

1) Sachant que la bouteille pleine a une masse de 45kg et que la bouteille vide a une masse de 10kg, déterminer la quantité de matière de méthane dans une bouteille à la vente.

 

[…] »

 

Oh, c’est trop compliqué, pensait Sylvain sans jeter son regard sur les données à la fin de l’énoncé. «réaction de combustion », « volume molaire », des mots qui ne voulaient rien dire et ne servaient à rien, surtout quand on était écologiste et opposé à la chimie, au réchauffement climatique…

 

J’ai une meilleure idée, se dit-il.

 

            Il se munit de quelques crayons de couleurs qui traînaient dans sa trousse, ayant conscience du fait qu’il ne risquait rien de la part du professeur (ni des élèves), et sortit son compas. Sur une copie séparée qu’il ne rendrait pas… Quoique, mieux vaut ça que feuille blanche, j’espère que le prof va pas le prendre mal… Ainsi, sur sa copie, Sylvain traça un cercle. Il posa ses instruments et réfléchit, la main devant la bouche, méditatif.

            Il commença à dessiner une planète utopique, une planète verte (à moins qu'elle ne soit verdâtre ?). A ses environnements, les mêmes que la Terre sauf les déserts, étaient associées des descriptions écologiques manquant à la fois d'imagination créatrice que de rigueur. Ce que Sylvain ne savait pas, et ne voulait pas savoir, c'est que l'écologie est une science, pas une mouvance politique. Et ne sachant s’extraire réellement du modèle Terre/humains à cause de l’égocentrisme proprement humain qui a mis la Terre et l’homme au centre de tout, il créa une unique espèce intelligente, bipède, avec deux yeux, des bras, un nez, des oreilles etc. Il expliqua les mœurs de ces extra-terrestres qui correspondaient au mode de vie ultime imaginé par Schäckorter et d’autres, où la technique était encore plus absente que chez les chimpanzés actuels, où l’on vivait « sobrement », se soignant avec une connaissance superficielle des plantes, où la chasse avait disparu alors que Sylvain ignorait que la viande est très nutritive, où les adultes comme les enfants jouaient avec les autres créatures, où, comme dans le rêve du dessinateur, tout le monde vivait en harmonie avec la nature.

 

Quelle belle planète… songeait l’écologiste. Une image terrifiante, marquée d’une connotation extrêmement négative lui vint à l’esprit : cette planète de Star Wars, la République, qui n’avait ni champs, ni mers, ni forêts, une planète entièrement recouverte de ville, une cité-planète pour ainsi dire, avec des immeubles gigantesques, de puissantes industries, une circulation très forte… L’enfer pour Sylvain.

Heureusement que ce genre de planète ne peut pas exister… A moins que… Non.

 

            Les souffrances de l’écologiste abrégées lors de la récréation de dix sept heures, il croisa alors Mélanie, étant en quête de son petit ami, Laurent :

« T’aurais pas vu Laurent ?

-Non, par contre, répondit Sylvain, j’ai vu Mathilde, Marion et Elena dans la cafét’.

-Oh, tant pis, je le retrouverai à la sortie, tu viens avec moi à la cafét ?

-Oui, si tu veux. »

 

            A l’intérieur de la cafétéria, plus d’élèves de la classe que prévu s’étaient rassemblés : Damien, Julie, Elena, Mathilde et Marion. Ces trois dernières passaient leur temps à glousser sur tout et n’importe quoi : les mouches qui volaient, un garçon qui parlait ou qui souriait, des élèves qui travaillaient, en fait, on ne savait pas trop, c’était un mystère.

           

« Au fait, demanda Sylvain à Mélanie, euh…

-Oui, qu’est-ce qu’il y a ?

-…T’es d’accord avec Laurent quand il dit que la Chine peut polluer comme elle veut ?

-Oh, tu sais, c’est pas mes affaires, mais apparemment, il faudrait les laisser se développer comme ils veulent, en toute liberté, mais je vais te dire, la politique et l’écologie, tu vois, je m’y intéresse un peu, mais pas plus que ça. J’ai pas tellement envie d’en parler. »

           Ce semi apolitisme évita une bonne dispute entre Sylvain, Mélanie et Julie sur leurs relations amoureuses respectives, les influences au sein des couples, dispute qui serait née des mêmes divergences entre l’écologiste profond et le libéral.

Le temps suivit son chemin avec ennui pour un Sylvain décidément dépité par la puérilité des trois filles avec qui il avait mangé, et trop fatigué pour dire quoi que ce soit. Puis arriva la sonnerie. Pendant que la classe rentrait en cours, Julie interpella Sylvain :

« Eh, attends ! »

            Il fit volte-face.

« Tu sais, le livre dont tu m’as parlé…

-Des mœurs et de l’écologie profonde ?

-Oui, c’est ça. J’aimerais bien que tu me le prêtes, ça m’a l’air très intéressant.

-Mmmh… Je veux bien, mais il va falloir que je demande à mes parents, normalement c’est un livre chacun. De toute façon, tu passeras chez moi ce week-end, alors on verra bien.

-Merci ! répondit-elle en l’embrassant. »

 

            Sylvain se sentait réconforté, mais il ne savait pas vraiment pourquoi. C'est juste le bisou – et si j'avais de la – non c'est pas ça – c'est la moustache – pas possible que je sois faible à ce point ! - tu es comme tu es, c'est comme ça.



« ...De rien. », répondit-il gravement.

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14 septembre 2009 1 14 /09 /septembre /2009 10:24

Mercredi :

 

 

            Sept heures quarante. Sylvain ayant émergé du sommeil calfeutré dans un lit avec d’assez belles images de paysages forestiers du Canada sur le drap, une question cruciale se posa à lui.

 

Mince… On est en semaine A ou B ?

 

            L’enjeu : savoir s’il avait cours à huit heures ou à neuf.

 

Ah oui… je vais aller me recoucher un petit peu puis je lirai.

 

            Il bailla et retourna dans son lit douillet. Qu’est-ce qu’on était bien au chaud… Un peu de repos...

 

Hein…mais attends…

 

            Ses yeux s’ouvrirent en grand, les traits de son visage furent subitement tendus par la surprise, et il attrapa même une crampe aux mollets. Il fallait vite prendre le vélo, très vite…

 

« Je vous avait dit de ne pas revenir ici ! cria M. Chantelort, le CPE.

-Mais vous savez, ces histoires de semaines…

-Je m’en fous !... faire comme tout le monde…doit utiliser les mots d’absence au lieu de ceux de retard… sais toujours pas pourquoi je continue à vous… même pas de notion du respect… voulez me faire démissionner… qui allez être viré…

-… »

 

            Neuf heures. Sylvain disposant d’une plage horaire libre, il en profita pour aller à la cafétéria ; il savait qu’il devrait faire des recherches sur l’écologie au CDI, comme la forêt amazonienne et la législation brésilienne, mais pour une fois, il avait envie de s’amuser un petit peu. Il se retrouva à discuter avec Laurent et Emilie, deux personnes de sa classe qu’il appréciait très différemment.

 

« T’es encore arrivé en retard ce matin, à ce que je vois, constata Laurent.

-Là, répondit Sylvain, pour une fois, j’avais pas d’excuse : quoique, ces histoires de semaines paires ou impaires…

-Bravo, je suis fier de toi ! Tu tombes enfin en retard pour une bonne raison !

-Oh, t’exagères, remarqua Emilie.

- Ah oui, vous avez écouté à la radio, hier, sur la Chine ?

-Non, je regarde pas les infos, répondit Emilie.

-Moi non plus, je vais pas m’encombrer d’une télé ou d’une radio, et puis les journaux, ça fait couper des arbres. »

            Laurent le dévisagea assez hautainement en fronçant les yeux.

« Oui, donc ils ont dit que pour le premier semestre de cette année, la Chine a fait 12 % de croissance ; déjà que d’habitude, elle fait 10 % par an, là c’est carrément monstrueux et ça a de quoi inquiéter les partenaires commerciaux étrangers : si jamais on tombe sur un grand krach boursier, ça va être très difficile, surtout avec la mondialisation qui pour une fois n’arrangerait pas les choses…

-Mais la Chine elle a même pas signé le protocole de Kyoto, remarqua Sylvain, et ces 12 % de croissance, ça voudrait pas dire qu’il y a de plus en plus d’industries, d’usines, de centrales nucléaires…

-Si si, mais qu’est-ce qu’on s’en moque du protocole de Kyoto, lança Laurent sur un ton méprisant. Ca va rien changer, et puis, je comprends les dirigeants chinois : ils veulent qu’on les laisse produire et gérer comme ils veulent, c’est leur tour maintenant, et ils ont raison parce qu’ils ont bien compris que les réglementations sont des freins, le mieux, c’est le laisser faire. N’importe quel économiste averti te le dira.

-Non mais t’es malade ! On est en train de bousiller la Terre et tu veux qu’on continue à polluer ?

-J’ai pas dit ça, ne me fais pas dire ce que j’ai pas dit, d’accord ? J’ai dit qu’il fallait laisser faire les entrepreneurs, pour le mode de production entre autres, mais aussi sur les horaires, les salaires, la décision de plans sociaux… Si ils veulent retourner au fordisme, c’est leur choix…

-Si ils veulent polluer, c’est leur choix aussi ? Tu es un monstre. »

            Laurent sourit de manière condescendante. Ce Sylvain n’avait rien compris au travail des économistes, notamment Malthus, et il préférait rester dans ses utopies ridicules alors qu’il pourrait vivre en prospérité dans une société qui est presque le meilleur modèle politique et économique, enfin, le seul modèle économique possible et la garantie de la liberté pour tous.

« Tu verras, oublie tes utopies écolo et profite des opportunités qui se présentent à toi. Tu peux très bien vivre avec l’électricité et l’eau, je vois pas le problème.

-Le problème, c’est que l’humanité va disparaître si on ne fait rien. »

            Laurent laissa échapper un rire encore plus hautain que ne le montrait son expression.

-J’y comprends rien, à vos histoires… dit Emilie.

-L’humanité va pas disparaître, continua Laurent, et puis, le réchauffement climatique va juste nous faire migrer vers les pôles, c’est pas si grave.

-Pas si grave ? vociféra Sylvain. Tu parles, c’est une catastrophe !

-Oh, et puis on n’est même pas sûrs qu’il y ait un réchauffement, de toute façon. C’est sûrement juste un gros canular pour qu’il y ait un électorat vert.

-Un canular ? Non mais tu te rends compte de ce que tu dis ?

-C’est vrai, tout le monde le dit, renchérit Emilie, je vois pas pourquoi ce serait faux. »

            Laurent la dévisagea avec un certain intérêt.

« Non, mais de toute façon, tes folies verdâtres, Sylvain, c’est même pas sûr que ça serve à quelque chose, et puis au mieux, on mourra tous un siècle plus tard.

-Mais si, martela Sylvain en hachant ses mots comme un gamin de quatre ans dirait « Je veux ! Je veux ! », il faut respecter la Nature et puis c’est tout ! –Il continua sans hacher ses syllabes- On n’aurait jamais dû inventer l’industrie, jamais dû inventer la chimie, jamais dû faire des forges ou quoique ce soit de pas naturel !

-Là tu renies tout le progrès technique qu’on doit au libéralisme.

-Y a pas de progrès ! C’est un crime ! Une aberration ! »

            Petite pause dans une atmosphère assez agacée. Laurent reprit malgré le dogmatisme de son adversaire :

« En tout cas, je préfèrerais que l’humanité disparaisse en étant riche et prospère plutôt qu’elle subsiste éternellement dans la misère et la pauvreté dans tous les domaines, qu'elle soit intellectuelle, technique, matérielle… De toute façon, tes utopies ne marcheront jamais. Ils ont fait combien les Verts aux dernières élections, hein, hein ? Et qui c’est qui est président, hein, dis le.

-...C’est pas parce que vous êtes les plus forts que vous êtes les meilleurs. »

            Laurent ne sut que fuir avec un rire passe-partout. Son esprit était tellement torturé par lui-même qu’il ne se rendait même pas compte qu’il défendait le droit du plus fort et qu’il s’était contredit de nombreuses fois dans son discours. Sans cette torture intestine, il n’aurait pas pu avoir bonne conscience tout en défendant ses thèses nauséabondes. Néanmoins, les mêmes procédés psychiques étaient aussi à l’œuvre dans l’esprit de Sylvain, et les deux personnages antithétiques ne s’en rendaient compte ni pour eux-mêmes, ni pour l’autre.

« Va jouer ailleurs, ordonna méchamment Laurent.

-Pfff… fit Sylvain. Allez, je vais te laisser dans tes fausses idées, heureusement qu’il y en a pas beaucoup des gens comme toi. »

            Et Sylvain s’éclipsa sur un nouveau rire condescendant de Laurent, le cœur tout empli de prétention.

 

Les autres ne cherchent pas à comprendre, mais lui… songeait l’écologiste quelque peu irrité, traversant la cour. Je comprends pas comment on peut penser comme ça.

            Tout comme Laurent ne comprenait pas comment on pouvait penser comme Sylvain. Lorsque ce dernier aperçut Franck discutant avec Damien, il se dirigea vers le groupe.

 

« De quoi vous parlez ? demanda-t-il.

-Des Allemandes qui sont parties Vendredi et de l’Allemagne, répondit Damien.

-J’aimerais bien vivre en Allemagne, lança rêveusement Sylvain. »

            Les deux autres ne se doutèrent de rien quant au sens profond de cette réplique.

« Oui, reprit Damien, Franck disait qu’il aimerait bien voyager en Allemagne, mais il veut pas avouer que c’est pour voir Andrea.

-N’importe quoi, arrête de dire que je l’aime, c’est pas vrai ! »

            Les deux autres rirent sur le ton de la plaisanterie.

« Non, je disais pas ça, je disais juste que…-il prit une voix un peu mielleuse- les Allemandes te plaisaient bien, hein, coquin !

-En tout cas, j’aimerais bien aller en Allemagne, mais je peux pas, dit Sylvain en empêchant Franck de répondre sans pour autant couper qui que ce soit.

-Pourquoi ? demanda Franck. »

            Des rires moqueurs se firent entendre et approchaient à toute vitesse vers le groupe.

« Encore notre petit homme vert ? fit Nicolas.

-Notre mascotte… ajouta Maxime. »

            Le trio - quasi- inséparable de Nicolas, Maxime et Victor ricana comme à l’habitude.

« Parce qu’il faudrait que je prenne un car, un train ou une autre saloperie pour y aller, répondit Sylvain sans faire attention aux perturbateurs.

-…Tu veux même pas prendre le train ou le car ? demanda Franck.

-Non, tu sais, quand on veut appliquer les mœurs de la décroissance, il faut mener une vie d’ascète, se priver de tout ce qui est inutile. Compte pas sur moi pour participer à ce carnage.

« Tout verts, tout verts ! criait Nicolas comme un collégien.

-Niark niark niark…

-Bon, moi je m’en vais, déclara Damien. Franchement, là, je le sens mal. »

            Lorsqu’il se retira, Franck se demanda pourquoi il s’obstinait à vouloir expliquer les choses à Sylvain.

« De quoi ça parle, entre extra-terrestres ? demanda Nicolas.

-Extra-terrestres…

-Je lui expliquais pourquoi je peux pas aller en Allemagne alors que j’aimerais bien y aller, répondit Sylvain.

-Dis donc, t’as dû sacrément flasher sur la p’tite Andrea, dit Nicolas.

-Pas du tout, répondit Sylvain un sourire aux lèvres, les yeux illuminés et les joues virant à l’écarlate à une vitesse qui surpasserait l’imagination d’un docteur en chimie, c’est juste que j’aime bien l’Allemagne en général. »

            Ce qu’il avait dit n’était pas complètement faux, c’était juste à moitié vrai. En dépit de son principe chrétien de « fidélité » - bien que la religion de Sylvain était toute autre que le christianisme -, et étant donné qu’Andrea était profondément écologiste bien que pas aussi extrême que lui, avec aussi ses jolis yeux bleus lagon et sa chevelure d'un blond de blé mûr, le jeune homme de seize ans ne pouvait que tomber sous le charme, et même désirer un peu plus.

« Ouais, c’est ce qu’on dit… insista Nicolas.

-Oh, il a les joues toutes rouges ! remarqua Victor. »

            Vite, il fallait une échappée. Ah…

« De toute façon, je risque pas d’y aller, fuit Sylvain, ça fait trop loin en vélo et je participerai jamais à ce massacre en nourrissant le nucléaire avec le train ou en polluant avec une voiture, même un car.

-Mais le car, c’est pas toi qui le conduit, objecta Franck. Enfin, c’est pas un de plus ou un de moins qui va polluer plus ou moins.

-Tu sais, en écologie, répliqua Sylvain, il faut prendre en compte tous les moindres détails.

-OK, on se refait un concours de pinaillage, lança Nicolas, allez, c’est parti !

-C’est bien connu, dit Maxime en ouvrant la compétition, les cars, ça pollue plus quand c’est plus chargé.

-Ah… méfie toi Sylvain, commenta Nicolas, il va marquer le premier point. »

            Franck afficha une mine consternée, la main sur le front accompagnée d’un soupir.

« Donc, reprit Maxime, si Sylvain monte pas dans le car, comme le chauffeur roule toujours à la même vitesse, le car va moins polluer !

-Waouh, tu m’épates là, mec, dit Nicolas. Un point pour Maxime ! Pas de contestation… Sylvain ?

-Non, il a parfaitement raison. »

            Le trio, animateur de jeu compris, ne put s’empêcher de rire.

« Et c’est Maxime qui mène le jeu !

-Ouais… lança vaguement ce dernier en tirant son bras vers le bas, poing fermé et vers le ciel.

-Maintenant, je lance la compétition sur le train, continua Nicolas.

-Ben, en fait, tenta Sylvain, quand on monte dans un train, on paye pour le train et pour l’électricité qui le fait marcher donc on paye pour le nucléaire et ça pollue et ça tue des centaines de poissons.

-Mouais… J’suis pas sûr… commenta Nicolas.

-Attends ! Et puis en plus, quand on prend le train, on attire les vaches qui le regardent passer vers la ligne, elles sautent par-dessus les fils barbelés et sont tuées par un arc électrique…

-« C’est la Nature »… laissa échapper Victor en murmurant avant d’en ricaner et de perdre momentanément le fil de cette passionnante et acharnée compétition.

-…en plus, continua Sylvain sans interruption ni pause, en montant dans le train, on le rend plus lourd donc il utilise plus d’électricité donc il fait augmenter la demande de production dans les centrales nucléaires et ça tue encore plus de poissons ! »

            Nicolas sourit à l’écoute de ce raisonnement.

« Waouh, super, j’accorde deux points à Sylvain pour ce méga pinaillage !

-Bravo ! Bravo ! acclamèrent Maxime et Victor en tapant dans leur mains. »

            Sylvain était fier de lui, ou plutôt, c’était l’impression qui se dégageait de son sourire de vainqueur. Franck, quant à lui, avait fini par se prendre au jeu et son attention était braquée sur la future annonce du sujet suivant.

« Alors, reprit Nicolas, euh… sur quoi on va pinailler cette fois ci ? Oui, Sylvain ?

-Les avions. »

« Ah… » fut la réponse générale du groupe.

« Oui, continua Sylvain, si on prend l’avion, on participe au financement du carburant, et le carburant d’avion, je sais plus comment ça s’appelle, mais ça pollue énormément. Donc quand quelqu’un prend l’avion, il pollue l’atmosphère avec ce truc pourri.

-Mouais… commenta Nicolas. D’autres volontaires ? »

            En se rappelant l’histoire des vaches et en pensant à la façon dont était formulée la conclusion de Sylvain, Victor ne put s’empêcher d’y voir un lien et d’en éclater de rire.

« Ah, Franck, dit Nicolas en remarquant le signe de la main de ce dernier.

-Oui, c’est pour dire que même si on monte pas dans l’avion, Air France et compagnie s’en foutent pas mal et vont trouver quelqu’un d’autre pour prendre la place, donc le système sera tout autant financé et on polluera pas moins.

-Woff… fit Nicolas. Pas mal, mais ça mérite pas de point. (Franck ne fut pas étonné de ceci vis-à-vis de son image de Nicolas.) Ah oui, Sylvain, on t’écoute.

-Voilà, c’est pour dire que le poids a encore un rôle à jouer. Plus l’avion est lourd, plus il va consommer de carburant, donc plus il va polluer.

-Oui…

-Attends ! Vu que c’est un avion et que ça vole, l’alourdir va encore plus polluer, et puis au décollage, on réveille des gens en pleine nuit et on peut écraser les oiseaux qui font pas attention. C’est pour ça qu’il faut jamais prendre l’avion !

-Super ! répondit l’arbitre arbitraire. Moi je dis, ça vaut bien TROIS points ! Et c’est Sylvain qui remporte ce concours de pinaillage cinq à un !

-Ouais, bravo !... Génial ! »

            Un sourire se dessina sur les lèvres de Sylvain d’autant plus facilement que les autres riaient carrément et que ses convictions étaient… non pas reconnues mais rejetées de manière plus subtile.

« Applaudissons notre champion, Sylvain !

-You…are the champion, my friend… Niark niark niark... Champion du monde!...”

 

En tout cas, ce clown avait bien raison en disant qu’il risquait pas d’aller en Allemagne, pensa Franck.

 

« Pffff, fit-il, un sourire aux lèvres. »

 

            Plus tard pendant l’heure de permanence, Sylvain croisa Sébastien et Bertrand.

« Alors, t’as révisé pour le contrôle de chimie ? demanda Sébastien à Sylvain.

-Woh… Non, j’en vois pas la peine.

-T’as intérêt de bosser dur cet après-midi, même moi, j’ai eu des problèmes avec les moles au début.

-Tu devrais t’intéresser plus à la Physique-chimie, conseilla Bertrand. »

            L’écologiste laissa ces paroles en suspens lui passer dans une oreille et en ressortir par l’autre aussi vite qu’elles étaient venues.

 

            Lorsque Sylvain était rentré l’après-midi, Gérard l’amena tout de suite vers la discussion, sa mère étant affairée par le travail ménager.

« Ah, Sylvain… Tu vois, je me disais que ça faisait longtemps qu’on avait pas lu le livre ensemble.

-C’est vrai, j’avais remarqué mais j’avais oublié de te le dire.

-Alors, on y va ? »

 

            Le père de famille sortit de la bibliothèque un épais volume couché intitulé « Des mœurs et de l’écologie profonde », dont l’auteur s’appelait Reinhardt Schäckorter. Un observateur averti aurait remarqué la présence de cet exemplaire dans la maigre bibliothèque non pas en double, mais en triple. Lorsqu'ils s'assirent autour de la table, Sylvain croisa le regard de son père. Il avait vraiment une grosse moustache...

Tu ferais mieux de te concentrer sur le livre, se dit-il.

« Bon… Chapitre deux, la chimie. Tiens, ce passage là est intéressant, lis le puis viens me voir ensuite pour en discuter. »

 

Sylvain lit ceci avec attention :

 

« Comme expliqué précédemment, la chimie est un artifice de l’homme, et en cela elle n’a rien de nécessaire et ne correspond pas aux volontés nécessaires de la Nature. Comme tous les artifices, la chimie est quelque chose de nouveau né de la folie humaine de créer, folie qui est pourtant à l’origine de toute destruction néfaste en ce monde.

Nous allons maintenant expliquer ce à quoi nous avions fait allusion dans l’introduction de ce chapitre, à savoir le fait que d’aucuns prétendent que la chimie peut être utile à l’homme. Cette affirmation traduit une fois de plus l’incapacité des humains à s’extirper de leurs illusions, et la Nature a beau crier, les hommes préfèrent se nouer un bandeau obscur sur la tête plutôt que d’écouter son appel, et l’opacité de ce bandeau est si forte qu’il masque aussi les signes humains de cette non-conformité à la perfection naturelle : ni la flèche de lumière de la dynamite, ni la flèche de lumière du napalm, ni la flèche de lumière des gaz de l’holocauste ne parviennent à transpercer ce bandeau synonyme d’une volonté de se cacher et de ne pas reconnaître la suprématie de la Nature, que les hommes seront obligés de craindre et ne pourront plus côtoyer en paix s’ils ne se soumettent pas à temps à sa volonté. »

 

« C’est bon, j’ai fini, dit Sylvain à la suite de la lecture de ces deux paragraphes.

-Ah… fit son père. Qu’est-ce que tu en as retenu ?

-Que la chimie n’était pas défendable parce qu’elle n’était pas naturelle…Euh…que l’homme cherche à se cacher de la Nature…non, qu’il ne veut pas admettre ses crimes parce qu’il ne veut pas reconnaître la Nature... Euh…voilà.

-Oui, mais je voudrais te parler de ce passage : « Comme tous les artifices, la chimie est quelque chose… »

-Oui, mais ça j’ai compris, cette folie humaine, tu avais dit que ça valait plus la peine de le revoir.

-Euh…sinon, ce morceau là est encore plus intéressant : « aux volontés nécessaires de la Nature. ». Rah… Didier m’avait dit quelque chose d’intéressant sur un philosophe, il m’avait donné une citation en Latin mais je m’en rappelle plus. Bon, tant pis, on le verra ce week-end. Oui, donc ce que Schäckorter veut nous dire, c’est que Mère Nature a une volonté, mais cette volonté va bien au-delà de celle des hommes. (Sylvain acquiesça d’un signe de tête.) Sa volonté est illimitée, en revanche, son pouvoir d’action est désormais faible par rapport à celui des hommes même s’ils sont incapables de reproduire ce que fait la Nature. Avant, je me disais qu’on arrivait à faire de pâles copies, mais j’ai vite vu qu’on était incapables d'imiter la perfection naturelle. Sauf que si on va à l’encontre de la volonté naturelle, et que l’on va, à force de crimes, d’ignorance ou de volonté de domination envers notre mère à tous, la fâcher, la Nature pourrait reprendre sa force d’antan et faire payer l’humanité en la nettoyant de tous ses péchés, et « c’est l’homme qui aura sonné le glas de la fin de l’humanité », pour prendre les mots de Schäckorter. Jusque là, tu comprends ? »

            Sylvain approuva d’un signe de tête et dit :

« Oui, je comprends un peu mieux, cette histoire de volonté illimitée et de rapports de force, ça m’éclaircit sur pourquoi on fait tout ce qu’on fait.

-Bon… C’est bien, tu peux faire autre chose si tu veux, on reverra ça ce soir. »

Je comprends mieux pourquoi je révise pas le contrôle de demain, songeait Sylvain.

 

Sept heures et demie du soir : repas en famille. Christine toussa à plusieurs reprises.

« Je crois que tu es malade, chérie, remarqua son mari.

-Oui, répondit-elle en reniflant, c’est vrai.

-Dans ce cas là, tu sais ce qui te reste à faire ?

-Oui, je vais faire la diète jusqu’à ce que ça soit fini –elle renifla à nouveau. Faut pas manger quand on est malade, sinon on nourrit la maladie.

-Oui, il vaut mieux laisser faire les choses, tu verras, ça passera. »



Au creux de son lit et somnolent, Sylvain cherchait sans cesse une meilleure position pour dormir, tourmenté. Les sensations flash se succédaient, images, paroles, émotions-raccourcis :



Ils disent ça parce qu'ils se font manipuler -la tête de mon père avec sa moustache- non c'est n'importe quoi - la fierté de penser par soi même – ouais c'est ça – mon père disant « et c'est l'homme qui aura sonné... » - ben quoi c'est vrai, on pense tous les deux par nous-même – voix douce et sévère : « Tu sais très bien que tu le suis comme un chien. »



Une lourde pause dans la pensée. Sylvain soupira profondément. Il s'endormit deux heures plus tard, entouré par les ombres.

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11 septembre 2009 5 11 /09 /septembre /2009 09:52

Mardi :

 

            Sept heures quarante. Les paupières à moitié collées, la vision encore plus floue qu’à l’état habituel (myope sans lunettes), Sylvain s’étira presque ostensiblement. Lorsqu’il arriva devant la table de la salle à manger, il aperçut un mot.

« Sylvain

Je suis partie travailler, s’il te plaît, donne à manger aux lapins avant de partir toi aussi. »

 

Elle aurait pas pu…Mais Sylvain s’arrêta là à cause du « s’il te plaît » qui lui effleura l’esprit. Bon…

 

Les rongeurs étaient une vingtaine à la maison, et là où la famille s’attendait à une portée de lapereaux, ils ne se doutaient pas qu’une seconde était déjà à prévoir.

 

Dire qu’il y en a qui tuent les lapereaux soi-disant parce qu’il y en a trop… Quelle cruauté ! Et ceux qui les mangent… quels irresponsables ! Si seulement les hommes étaient aussi mignons que les lapins…

 

            Il soupira. La pitié lui permit d’avoir une bonne raison de remplir les mangeoires de légumes divers, plus ou moins frais, surtout moins.

 

            Huit heures dix.

 

« Un problème de réveil ? demanda dubitativement la surveillante. »

M.Chantelort fit une imposante apparition. Il soupira avec un certain grognement.

« S’il vous plaît monsieur…

-DELERAIN ! J’en ai marre ! Marre !... pas d’excuses… prochain pendant trois heures…dernier avertissement…vous et votre bande de… devrais pas travailler le matin… dégagez…

-… »

 

            Récréation, dix heures. Discussion intime entre Sylvain et Julie.

 

« A force de torturer, mépriser et tuer les autres animaux pendant des siècles, l’homme a fini par se couper des autres espèces d'animaux. Maintenant, il y a une sorte de grande barrière. Et la preuve que c’est volontaire, tout le monde dit « les animaux » comme si l’homme n'était pas dedans.

-Mmhm acquiesça Julie.

-Chez nous, on protège les lapins, mais Papa a raison, on devrait mettre en sécurité bien plus d’animaux. Les gens ont tellement tendance à torturer ces pauvres bêtes… On les humilie si souvent…

-Si tu le dis… »

« c’est que c’est vrai. », négligea-t-elle de finir. Elle reprit :

« Ah oui, je le savais toujours pas, mais il paraît que Fabrice a volé les affaires de Maxime dans les vestiaires.

-Ah bon ?

-Oui, et ça m’étonnerait pas du tout. Tu sais, ces gens là… Non, on peut pas leur faire confiance. »

            Sylvain n’eut rien à ajouter, pas de réaction particulière, que ce soit une approbation ou une mise en doute.

            Après une courte pause, il demanda :

« Ah oui, si jamais tu avais des chatons ou si tu pourrais en avoir…

-Tu voudrais que je te les donne ? Oui, bien sûr. »

            Sylvain soupira.

« J’ai entendu quelqu’un dire qu’en les endormant à l’éther, on pouvait les tuer sans leur faire mal… De l’éther ! C’est monstrueux ! Comment peut-on acheter de telles horreurs ?

-Ah, ça… »

 

            La réponse à la question demeura un profond mystère car la sonnerie séparait déjà le couple verdâtre.

 

            Pause de midi à deux heures. Sylvain retrouvait Emilie et Fabrice, tous deux de sa classe.

 

« De quoi vous discutez ? demanda-t-il.

-De nos projets pour l’avenir, répondit Emilie.

-J’étais en train de lui expliquer pourquoi je voulais m’engager chez Médecins sans frontières, expliquait Fabrice, mais elle arrête pas de me dire que ça sert à rien et que de toute façon, je pourrai jamais y arriver avec les notes que j'ai. »

            Courte pause. Sylvain reprit :

« En tout cas, moi, quand je serai plus grand, j’irai me faire construire un puits, et c’est d’ailleurs ce que mon père veut faire pour la famille, parce que la cuve a des ratés.

-Un puits ? s’exclama Fabrice.

-Oui oui, un puits.

-Non mais t’es malade, ou c’est que tu peux pas utiliser l’eau courante ?

-Ca ? C’est un coup à s’empoisonner, prendre de l’eau traitée chimiquement, et si en plus on utilise un ballon d’eau chaude, on n’est pas sauvés. »

            Emilie fit une grimace.

« Ah non, mais c’est pas possible, ça ! se lamenta Fabrice. On est en France où on a accès à l’eau courante, et elle est propre en plus…

-Non, elles est pas propre.

-Si parce qu'on la purifie.

-Non, l’eau naturelle elle peut être que meilleure.

-… Et ben va boire dans une mare ou une flaque d’eau comme j’ai vu des enfants faire au Mali ! J’y suis allé pour voir ma famille, des villageois, et je peux t’assurer qu'ils voudraient tous vivre comme les Français, et ils ont bien raison !

-Ils ont tort !

-S’il vous plaît… essaya trop gentiment Emilie.

-Si tout le monde vivait comme les Français, il nous faudrait quatre planètes Terre pour subvenir à nos besoins.

-N’importe quoi…

-Si, t’as vu ce qu’on consomme ?

-Et t’as vu ce qu’ils produisent, les Africains, hein ? Et pourtant c’est pas la place ou les ressources qui manquent en Afrique ;  la France, l’Europe, c’est bien plus petit mais ça produit plus parce qu’ils se sont plus développés. T’as pas dû comprendre les messages du cours de Géo…

-Mais au moins eux, ils ne tuent pas la planète !

-Pfff… Tu préfèrerais que tout le monde vive comme les Africains, hein ?

-Bien sûr, si c’est pour sauver la planète.

-CRIMINEL !

-Arrêtez s’il vous plaît… tenta vainement Emilie.

-C’est toi le criminel qui voudrait vivre dans tout le luxe inutile des Français : l’électricité, l’eau courante, les ondes cancérigènes, les médicaments chimiques…

-J’aimerais bien vivre comme les autres Français mais j’en ai pas les moyens à cause de mon faux statut d’immigré, interrompit Fabrice. Toi, tu le peux, ton père est prof, et tu ne profites pas de cette chance énorme d’être né sans handicap dans un pays riche ! Mais où est-ce qu’ils mettent leur argent, tes parents ?

-Euh… dans les produits bio, déjà… la nourriture des lapins… bientôt le puits… mais sûrement pas dans l’énergie ou l’eau courante, ah ça non !

- N’importe quoi ! Tu me dégoûtes !

 -Et toi, va vivre à l’ampoule et faire crever l’humanité si tu veux, d’façon, tu creveras aussi et ce sera bien fait !

-Quel abruti…

-Tant mieux ! Je préfère ressembler plus à une bête qu’à un homme !

-…Là, je peux vraiment rien faire pour toi…

-Si : t'es allé au Mali où t'as vu comment vivre en harmonie avec la Nature: et ben fais pareil !

-Non mais !… »

            Fabrice dût se retenir pour ne pas lui coller un gros coup de poing en plein sur la tête. Toute cette misère, tous ces gens sans frigo, sans cuisinière, qui meurent de faim, de maladie…

98% de gens atteints par le palu au Congo, 30 % du SIDA… C’est ça qu’il veut en France ?

            Non, la violence ne servirait à rien et coûterait cher, de toute façon, c’est Sylvain qui allait crever à se priver de médicaments. Les décroissants comme lui n’arriveraient jamais à imposer leur idéologie, même si… Non, il ne fallait pas y penser.

 

Fabrice s’écarta en insultant Sylvain, ce dernier le maudit avec tous ceux qui feraient se précipiter l’humanité entière vers l’ultime ravin.

Julie devait avoir raison sur lui…pensa-t-il, pris par l’émotion.

Emilie soupira.

« Bon, j’en ai marre, t’es vraiment trop lourd, vociféra-t-elle avec un soupçon de haine. »

            Elle se retira, laissant Sylvain seul, planté au beau milieu de la cour. Il se dirigea vers nulle part, errant, ne sachant où aller ni qui retrouver.

De toute façon je pense par moi même, pas comme les autres conformistes...

L'image d'un homme quinquagénaire avec une grosse moustache lui effleura l'esprit.

Mais bien sûr que si que je pense par moi même, c'est les autres qui se font manipuler, moi je suis pas comme eux.

 Au fil de sa marche, il croisa Nicolas, Maxime et Victor.

« Ben dis donc, il a l’air fâché le petit homme vert, dit Nicolas. T’as pas encore pris ta dose de pommes aujourd’hui ? »

            Victor et Maxime ricanèrent mesquinement, et Maxime mima d’avaler une pomme entière.

« Mmmh, trop bon le trognon ! se moqua-t-il en faisant semblant d’avoir la bouche bien pleine.

-Quoi, c’est vrai, c’est ce qu’il y a de meilleur, répliqua subjectivement Sylvain. »

            Ricanements.

« J’vais avoir des boutons… tout verts ! continua Maxime.

-Super, relooking total ! renchérit Nicolas. Au fait, Sylvain, t’as fait ce que je t’avais demandé?”

            Ce dernier eut un regard interrogateur et méfiant pendant que la petite bande riait ou pouffait de rire.

« T’as compté le nombre de boutons tout verts sur ta joue gauche ?

-La joue gauche…

-Niark niark niark… »

            Ces remarques n’étaient pas si infondées : en effet, en dépit de coups d’eau sur la figure très réguliers -tous les Dimanche-, la peau de Sylvain arborait une multitude de constellations de pustules et de points noirs - et non pas verts. Il ne fallait surtout pas mettre de produits chimiques pour la peau, quelle horreur ! Mieux valait laisser faire les tempêtes naturelles de la puberté que de participer aux massacres sadiques et aux crimes irresponsables de l’humanité.

« Arrêtez, vous êtes soûlants à la fin…

-Tout verts !… Moi aussi, t’as vu ?... Ouais, c’est trop cool pour la planète !...C’est clair !... »

Bertrand passait par là et s’interposa.

« Qu’est-ce qu’ils font, encore ?

-Ils arrêtent pas avec leurs histoires débiles…

-Roh, viens manger avec moi, on va les laisser se délirer ailleurs. Allez, viens. »

            Sylvain fuit avec lui vers le self service, se retournant pour s’assurer qu’ils ne le suivraient pas, et pour leur jeter un regard foudroyant.

           

Ils retrouvèrent Sébastien pour le repas qui se déroula sans encombre sur le contenu de l’assiette de chacun. C’est là que Sylvain raconta sa violente entrevue avec Fabrice :

« …et c’est là que je me suis dit que Julie avait raison. »

Bertrand pinça les lèvres mais ne dit rien, la désapprobation de Sébastien était moins visible. Ce dernier demanda :

« Dis-moi, Sylvain… Tu sais, on nous dit souvent, à la télé, à la radio, dans les pubs, dans les magasins et un peu partout que l’environnement dépend aussi de ce qu’on met dans notre chariot, qu’il faut pas trop consommer d’électricité si on veut lutter contre le réchauffement climatique –à moins que ce soit juste pour protéger l’environnement, je sais pas-, on nous parle d’éco-citoyenneté, on nous dit qu’on est tous responsables et qu’on peut tous agir, qu’il faut utiliser des appareils économes… Seulement, j’ai beau chercher, je comprends pas pourquoi. J’aimerais bien que tu m’expliques. »

Il va quand même pas se faire avoir… pensait Bertrand. J’espère que non, c’est un scientifique.

            Personne n’avait remarqué son expression méditative et quelque peu inquiète.

« Ca me paraît évident, pourtant, répondit Sylvain.

-Moi pas, dit Sébastien.

-Bon… Tu vois, en produisant de l’électricité, on pollue.

- ? Ah oui, aux Etats-Unis et en Chine, ils font ça avec le pétrole et le charbon, oui. Mais en France…

-Ben on rejette des déchets radioactifs qui pourrissent les rivières et contaminent la chaîne alimentaire. Et donc, en consommant de l’électricité, indirectement certes, on pollue et on participe au réchauffement climatique. Et chacun a les moyens d’agir à son niveau, en consommant moins d’énergie par exemple.»

            A la vue de la mine dubitative et interrogée de Sébastien, Bertrand ne put s’empêcher de sourire.

« C’est pas un peu exagéré ? demanda Sébastien.

-Non, en écologie, il faut prendre en compte toutes les conséquences indirectes. »

            Sébastien se remémora un article sur le réchauffement climatique et les conséquences néfastes du décalage des saisons sur diverses chaînes alimentaires.

« Oui…c’est vrai, mais… C’est vrai qu’en consommant, on participe d’une certaine manière au système mais…

-Tu penses qu’on peut pas y arriver chacun dans son coin ? Si, les initiatives individuelles ont des conséquences, et puis, il faut bien ça pour commencer en attendant que les politiciens fassent quelque chose.

-Non mais attends, tu crois que c’est parce que ta famille a décidé de boycotter EDF qu’ils vont se décider à polluer moins en produisant moins ? J’suis pas convaincu.

-Et puis, ajouta Bertrand, avant d’être dans une société de surconsommation, on est d’abord dans une société de surproduction : une grande partie des récoltes ne sont même pas mises en vente, elles sont jetées, alors qu’au même prix de revient, on pourrait les donner à ceux qui en ont le plus besoin dans le Tiers-monde. Faut voir en amont pour savoir qui sont les vrais responsables.

-Tiens, je savais pas… dit Sébastien.

-En tout cas, ces gens du Tiers-monde ne sont pas en train de faire exploser la planète.

-« Exploser »… Ca fait quand même six fois dix puissance vingt-quatre kilos à dégager, c’est pas rien…

-C’est sûr, ajouta Bertrand.

-Mais enfin, vous comprenez pas qu’on est en train de détruire la Nature ? demanda Sylvain.

-Si, mais on peut quand même garder notre avancée technologique, remarqua Sébastien. T’avais bien dit qu’en consommant de l’électricité, on participait au réchauffement climatique ?

-Oui, bien sûr.

-Mais EDF, c’est bien du nucléaire, alors ça pollue pas l’atmosphère. Et puis en plus, c’est eux qui polluent, pas moi, on n’a qu’à produire de l’électricité sans polluer, la science est là pour nous aider.

-Là, tu te déresponsabilises, répondit Sylvain.

-Mais tu trouves pas qu’on culpabilise trop les gens alors qu’ils y sont presque pour rien ? demanda Bertrand.

-Au contraire, vitupéra Sylvain, on les culpabilise pas assez. On devrait sûrement prendre exemple sur les Africains. Ils ont très bien compris qu’il fallait vivre en harmonie avec la Nature et la respecter, et c’est pas en utilisant les artifices énergétiques et chimiques qu’on va y arriver. »

            Petite pause. Sébastien reprit :

-Mais on peut bien protéger la nature et la maîtriser en même temps, c’est ni interdit ni…

-NON ! hurla Sylvain. »

            Des regards se jetèrent sur la table ; Bertrand et Sébastien avaient l’air gêné et stupéfaits par la violence de ce « non », Sylvain légèrement outragé.

« Bon… fit Sébastien.

-En tout cas, Al Gore a bien raison quand il dit qu’on a déjà les moyens de régler le problème, dit Sylvain.

-Si c’est vrai, continua Sébastien, ça veut dire qu’on peut développer des modèles de voitures et de production d’électricité qui respectent l’environnement… Ca serait sympa, j’aimerais bien faire ça. »

            Sylvain lui lança un regard inquisiteur en poussant un léger grognement, puis se calma afin de pouvoir exprimer son avis.

« Non, moi je pensais plutôt qu’on devrait se mettre à vivre comme ces Africains, c’est à la portée de tout le monde quand même…

-En tout cas, remarqua Sébastien, eux n’ont pas les moyens de vivre comme nous alors qu’ils aimeraient bien.

-Un chemin sans retour… lança méditativement Bertrand. »

            Sylvain regarda Bertrand et le vit comme s’il était ailleurs.

« Dans ce cas là, c’est tant mieux, on sera sauvés une bonne fois pour toutes.

-En tout cas, je veux bien faire des efforts, dit Sébastien, mais à condition que je comprenne. Pour le moment, je comprends pas toutes ces histoires, mais si on dit ça, c’est qu’il y a sûrement une raison. Après, je suis pas convaincu qu’elle soit bonne, mais…je finirais bien par la trouver. »

            Bertrand sourit à l’écoute de ce discours. Sébastien savait donc remettre en cause les préjugés, sans s’énerver en plus. Il cherchait à comprendre les choses avant de les suivre conformément, et c’était une qualité d’autant plus grande qu’elle était rare et permettait une résistance généralisable aux mensonges et aux injustices.

 

Un jour, il trouvera cette raison, et là je doute qu’il soit aussi calme qu’il ne l’était aujourd’hui, songea Bertrand.

 

« Si tu veux, je t’aiderai : j’ai déjà une petite idée sur ce que c'est cette raison, et tu risques d’être surpris.

-Merci, c’est sympa, répondit Sébastien. En tout cas Sylvain, merci quand même de m’avoir expliqué, on le fait pas assez souvent. Bon, on s’en va, on a fini. »

 

C’est ainsi que l’écologiste fut délaissé au beau milieu d’une forêt de pommes, de salade et de kiwis. Il soupira profondément.

 

Vont-ils comprendre un jour ? L’image du soleil levant de son rêve lui vint à l’esprit et le réconforta. Ce jour là, le soleil se lèvera sur la plage comme celle de mon rêve, car tous ceux qui se seront résignés aux artifices maléfiques auront été châtiés, et ils l’auront mérité. Espérons que cette purge ne survienne qu’à un moment où elle ne sera pas trop compromettante pour l’humanité…

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27 août 2009 4 27 /08 /août /2009 20:49

Les écolos rigolos



Lundi :

 

         Sept heures et demie. Un Soleil écarlate émergeait dans un horizon dégagé. Pour Sylvain, il était l’heure de retourner au lycée dans sa classe de seconde.

            Sylvain ouvrit la fenêtre et découvrit le spectacle du Soleil levant.

 

Exactement comme dans mon rêve… songea-t-il. Quel rêve merveilleux…

 

Il était question d’une vision du futur des plus charmantes pour son créateur. Une grande plage bordée d’une mer turquoise reflétait savamment les couleurs du ciel du matin. Quelques gens s’y trouvaient et contemplaient la scène avec un profond dévouement. Les cris des frégates remplaçaient le hurlement des voitures, point de tumulte citadin mais le murmure apaisant et régulier de l’onde.

 L’humanité avait laissé loin derrière elle la marque de tous ses innombrables péchés : plus de guerre destructrice, plus de précipitation inutile, plus de machines infernales, plus d’industries monstrueuses et dégradantes, non, tout cela était fini. Les gens vivaient sobrement, dans le bonheur le plus total que procurait l’existence harmonique -fusionnelle ?- avec la Nature.

 

Je n’oublierai jamais ce rêve… Jamais.

 

Retour à la réalité. Il fallait se dépêcher, les cours débutaient à 8 h.

 

Dès que Sylvain eut avalé deux tranches de pain bio tartinées avec de la confiture bio et trempées dans un café bio au lait bio, enfilé son pull 100% coton bio et plus plaqué que coiffé ses cheveux faute de sécrétion abondante non corrigée de corps gras, il enfourcha son vélo. Le lycée était à l’autre côté de la ville.

 

 Pourvu que je n’arrive pas en retard…pensa-t-il, redoutant un phénomène…presque cyclique.

 

Huit heures dix. Bureau du CPE, M.Chantelort.

« Encore ! s’écria-t-il. 

-Mais c’est pour sauver la planète…

-On la connaît celle-là ! interrompit le fonctionnaire en colère. … bien un truc d’écolo … continue, je vais vous renvoyer de… des excuses signées … sinon une retenue… plus vous voir…

-… »

 

Plus tard dans la matinée, lors de la récréation, Sylvain s’empressa de quérir sa petite amie, Julie.

            Ils se saluèrent banalement, s’embrassèrent brièvement et se confièrent les nouvelles du week-end.

 

« Tu as vraiment fait un rêve magnifique… s’émerveilla Julie à l’écoute du récit passionné de Sylvain. »

 

Ce dernier marqua un bref temps d’hésitation.

 

« J’ai… j’ai une idée là-dessus. Ce rêve, il est réalisable. Ensemble, on pourrait faire partager ce rêve à tous ceux qui nous entourent pour qu’il devienne enfin réel. Tous les deux, on pourrait rendre la Terre plus verte, sans OGM, sans voitures, sans toutes ces choses qui en fin de compte ne servent à rien. »

            Julie acquiesça.

« C’est vrai, tout ce luxe… ça me dégoûte. Prendre sa voiture pour aller de l’autre côté de la ville… non, ça devient n’importe quoi.

-Alors, t'es d’accord ?

-Pour quoi ?

-Pour qu’on réalise ce rêve ensemble.

-Mais bien sûr ! ».

 

Elle rit et il fit de même par contagion d’émotion. Nouvelle embrassade, plus passionnée cette fois ci.

 

Midi et demi. Sylvain retrouve de la compagnie pour le repas. Tous des camarades de classe. Cette fois ci, il y avait Sébastien, l’esprit plongé dans ce qu’il avait découvert dans le dernier numéro de Science et Vie, Damien, le cerveau encore branché sur Messenger, Victor, fort de ses scores de la veille dans le jeu de tir à la première personne Counter Strike,  Bertrand, songeant à moitié au dernier film qu’il avait vu, et Franck, plus réceptif à l’arrivée de Sylvain.

 

«  Salut Franck, salut Damien !

-Alors, t’as révisé pour le contrôle de Physique-Chimie  Jeudi ? répondit Franck.

-Woh… déjà que j’y comprends rien, si en plus on rajoute des moles ou je sais pas quoi, ça facilite pas les choses. »

Sébastien fit une moue traduisant un certain désaccord et une mauvaise impression.

« C’est vrai que c’est pas évident, admit Franck. Mon père va sûrement m’aider, il s’y connaît pas mal.

-Au fait, ton père, il est pas ingénieur à EDF ? demanda Bertrand.

-Si, justement. Il a dû…

-S’il, vous plaît, interrompit Damien, on parlera de ça plus tard, d’accord ? ».

            Les autres affichèrent un consensus facial que seuls Sylvain et Victor n’arrivaient pas à comprendre. Néanmoins, ces deux-là ne posèrent pas de questions et laissèrent passer cette chose qui aurait dû attirer leur attention.

 

            Après une discussion amicale sur le film qu’avait vu Bertrand et les « exploits » vidéo-ludiques de Victor occupant les camarades de classe pendant la queue les menant au self, ces derniers arrivèrent à un moment crucial et fatidique : le choix personnel des aliments.

            La plupart sautèrent sur les lasagnes, accompagnées d’une salade ; lorsque Sylvain ne prit que la salade en tant que plat de résistance, Victor étouffa un ricanement. Les entrées furent plus variées ; pour sa part, Sylvain se résigna à prendre un ravier de crudités accompagnées d’un petit morceau de beurre sommairement confiné dans de l’aluminium. Arrivés au choix des fromages et desserts, Damien, Franck et Sébastien ne prirent aucun fromage mais compensèrent avec deux desserts comme à l'habitude, bien que le self était censé ne fournir au maximum qu’un fromage et un dessert. Et là où Victor s’octroya deux îles flottantes et un yaourt aromatisé sucré, Sylvain emporta tout aussi machinalement une part de brie, deux pommes, une orange et une banane.

Et ils s’assirent sur une table de huit personnes, ne se doutant pas que cette sélection était le signe de ce qui allait suivre…

 

Mince… J’aurais pas dû en prendre autant…pensa Damien. J’aime bien les lasagnes, mais là…

 

« Est-ce que quelqu’un veut de mon pâté ? demanda-t-il.

-Ah oui, je comprends, tu veux qu’on t’aide à enfiler ta dose, remarqua Bertrand. »

            Personne d’autre ne répondit.

« Allez, vous en voulez ? C’est du bon pâté de campagne.

-Hein ? Bweurk ! Non ! s’exclama Sylvain. T’es fou, je veux pas attraper la peste ! lança-t-il sincèrement. »

            Victor ricana.

« Oh non, ça va pas recommencer ! se plaignit Damien.

-Trop manger de fruits… marmonna mesquinement Victor.

-Moi, j’en veux pas de ton pâté pourri, répliqua Sylvain. A la limite, si vous voulez vous empoisonner, c’est votre problème ; je vous rappelle que le centre anti-poison est à cent cinquante kilomètres. »

            Victor ricana de plus belle.

« On va pas s’empoisonner, rétorqua Franck, sinon on serait morts depuis longtemps ! Mais si tu veux offrir de l’argent pour les funérailles de Damien avec toutes ces lasagnes, je pense qu’il dira pas non. »

            Damien rit et acquiesça. Sébastien soupira, méditatif.

« Est-ce que vous savez qu’aujourd’hui, dès que c'est pas bio c'est des OGM ? déclara Sylvain.

-Dans ce cas là, pourquoi tu manges de la salade et des fruits ici? demanda Franck.

-Trop manger de fruits, ça peut donner des boutons… tout verts ! Tout verts ! répéta Victor sur un ton de moquerie.

-Oh, arrête avec ça ! répliqua Sylvain, assez exaspéré.

-C’est vrai, t’es lourd, renchérit Bertrand.

 -Oui, donc si je mange de la salade et des fruits, ben, c’est parce que j’ai pas trop le choix, mais surtout parce que c’est plus sain que du porc ou du beurre. Tenez, si vous voulez mes crudités, je vous les passe ; elles ont dû se faire empoisonner par le beurre.

-Roh la la… fit Damien. »

 

            Sébastien profita d’une légère pause -car Victor était encore plongé dans sa « thèse » sur les boutons verts- pour placer ce sur quoi il avait réfléchi.

 

« Mais dis moi Sylvain…

-Oui ?

-Tu disais pas que les plantes, avec la photosynthèse, luttaient contre le réchauffement climatique ?

-Bien sûr que si, pourquoi ?

-Mais là, tu manges bien de la salade ? Enfin…

-Hein ? Ah oui, mais les animaux, ça pollue plus.

-Oui, c’est vrai, il faut empêcher les vaches de péter, dit Franck.

-Ca devient vraiment n’importe quoi… remarqua Damien. »

            Sylvain était bien embarrassé. Il fallait faire tout ce qu’on pouvait pour sauver la planète, mais…

« Allez Sylvain, renchérit Victor, fais un geste pour la planète : retiens-toi ! Ha ha ha ha ha!»

            C’est bon, l’écologiste a trouvé la réponse :

« Non, c’est la Nature.

-Ben ta nature, tu vas la montrer ailleurs, rétorqua Damien. On veut pas de tes odeurs. »

            La tension était à son comble, et c’est là que Bertrand intervint.

 

« Bon, écoutez, faudrait se calmer, là. »

            L’attention était encore ailleurs. Il reprit :

« Tenez, je vais vous prendre votre pâté et vos crudités, si vous voulez. »

            Damien et Sylvain se tournèrent vers lui et lui donnèrent leurs entrées avec un certain soulagement dans ce climat agité.

«Merci. Chacun décide de ce qu’il mange, on ne va pas imposer aux gens de manger bio, Mcdo ou quoi que ce soit. Si Damien veut s’emplâtrer des lasagnes, c’est son problème, après il assume les conséquences. Si Sylvain veut être végétarien, c’est son problème aussi. Par contre, Sylvain, à dire que le petit morceau de beurre, emballé en plus, il va contaminer les carottes rapées, là t'exagères. »

            Tous se taisaient, la mine renfrognée caractéristique de l’apaisement progressif d’un conflit.

« J’ai fini, dit Damien en emportant son plateau. »

 

            Le repas s’acheva dans un froid silence de monastère, sans incident notable. Sylvain fut de loin le dernier à partir.

 

            Quinze heures. Cours de Sciences de la Vie et de la Terre. Le professeur rendait les copies sur le fonctionnement du système circulatoire.

 

« Franck… A revoir. Victor... A revoir aussi. Sébastien… Le sujet a été compris, c’est bien. Laurent… Quelques erreurs par ci par là, je pense que tu peux faire mieux. Sylvain… Sujet compris, rien à redire, sauf peut-être ta petite remarque que j’ai signalée dans la correction, à éviter à l’avenir, au cas où... Mais rien de bien grave. Nicolas… »

            Sylvain posa son regard sur la copie avec assurance. Seize. Dans ce cas là, pas vraiment la peine d’écouter la correction, il se demandait bien quel pouvait être le problème. Il parcourut rapidement la copie –il y avait peu de rouge- et aperçut assez vite un certain bloc d’écriture du professeur dans la marge.

Alors c’est pour ça qu’elle m’a averti…Apparemment, les autres n’ont pas compris que la Nature était bien faite, pourtant ça me semble évident avec tout ce qu’on a appris…Mais qu’est-ce qu’elle a bien voulu me dire ?

 

« A éviter à l’avenir, on ne sait jamais sur qui on peut tomber… Je te conseille de lire des livres sur la théorie darwinienne de l’évolution et la génétique, et tu verras que cette conclusion est un peu hâtive. D’ailleurs, pour te prouver que c’est faux, rappelle toi que les maladies sont d’origine naturelle… »

 

Sylvain était assez déboussolé. Tout ce fonctionnement, ces circuits parfaits avec le cœur, les poumons… Mais…

Tiens, qu'est-ce que je vais faire ce soir ?

Le cours s'acheva avec un Sylvain rêvassant.

Dix-huit heures vingt-cinq. Retour à la maison – en vélo, bien sûr. Sylvain retrouva sa mère, Christine. Elle faisait des petits boulots à temps partiels, et cela n’était pas plus mal, car avec une famille composée de deux parents et d’un fils unique, il y avait fort à faire à la maison.

 

« Comment ça s’est passé cette journée ? demanda-t-elle.

-Euh… La prof a rendu les devoirs de SVT.

-Et alors ?

-J’ai eu seize.

-C’est bien mon chou, je suis fière de toi. »

            Ton admiratif, succès : Sylvain sourit à ce franc compliment. Lui aussi était fier de lui. Son sourire s’effaça quelque peu :

« Ah oui… Sinon, je me suis disputé avec des gars de ma classe.

-Pourquoi ?

-C’était sur des questions de nourriture. Ils vont jamais comprendre…

-Oh, attends que Gérard soit là et on en reparlera, d’accord ? »

            Il acquiesça. Gérard était son père ; il était professeur de SVT dans l’ancien collège de Sylvain, où il avait acquis une certaine… notoriété.

 

« Bon, on a de la chance, il a plu aujourd’hui, comme ça tu pourras te laver avec de l’eau toute fraîche. Qu’est-ce qu’on a de la chance de vivre au bord d’une ville où les pluies ne sont pas acides… Les gens ne se rendent pas compte de cette chance et préfèrent prendre de l’eau chère et polluante, trop chaude et en trop grosses quantités… C’est pas bon pour le réchauffement climatique tout ça, et pour la Nature, encore moins. »

            Courte pause. Sylvain répondit :

« Oui, c’est vrai. La Nature nous offre généreusement son eau, et on se sent obligé de la transformer à tort et à travers. Si ça continue, Mère Nature pourrait se mettre en colère et nous punir. Ce serait triste d’en arriver là, mais… »

            Christine ne répondit ni ne finit sa phrase.

« Bon, j’y vais, dit-il.

-Pendant ce temps, je vais préparer le repas avant que Papa arrive, il a une réunion. Allez, file. »

 

            Sur ce, Sylvain se dirigea vers le petit jardin derrière la maison. Une grande cuve cylindrique en bois poli se tenait là. A côté, deux seaux constitués de planches en bois cerclées de fer quelque peu oxydé, avec une anse et un fil attaché à une boucle de métal encore plus rouillée au sommet de l'anse. Divers draps étaient pliés par le soin de la mère, posés sur une espèce de petit banc en bois pourri. Au dessus de la cuve, on apercevait aisément deux sortes de toboggans à eau, qui étaient en fait des prolongements de la gouttière, et on pouvait remarquer qu’ils avaient été installés plus tard que ces dernières car leur état et matériaux respectifs étaient assez différents : les gouttières en aluminium et leur prolongements en bois poli.

Sylvain prit un seau qu’il plongea dans la cuve afin d’en recueillir le précieux liquide et mit un drap sur son épaule. Il emporta ce seau à l’intérieur dans une pièce qui était censée s’apparenter à une salle de bains, le posa par terre, et étendit le drap sur une bassine. Il tenta de fixer le drap sur la bassine à l’aide de pinces.

J’espère que ça tiendra, pensa-t-il. Ainsi, il ne demanda point d’aide à sa mère. Il avait seize ans quand même, il pouvait se laver tout seul !

            Il versa le contenu du seau sur le filtre de fortune. Pas de problème, il s’en alla quérir un deuxième seau, les remplit à la cuve, revint à la bassine. Il versa progressivement l’un des deux seaux. La bassine était presque à moitié remplie. Le deuxième seau…

Mince ! Il eut une expression de gêne mêlée à une mauvaise surprise. Une pince avait claqué, le fond du deuxième seau n’avait pas été filtré.

J’ai plus qu’à tout recommencer…

 

            Dix-neuf heures cinq. Repas en famille ; le père allait bientôt arriver. Sur une petite table étaient disposés trois assiettes, trois verres, trois couteaux, trois petites cuillères et des serviettes assez tachées. Au menu : salade vosgienne 100 % bio du jardin, aménagée en raison de l’absence de lardons – Quelle horreur ! pensa Sylvain à l’idée de la recette originale. Après une attente polie, Gérard arriva.

 

« Bonjour tout le monde ! Oh, qu’est-ce que c’est que ça ?

-C’est la salade du jardin que je t’avais promise, répondit Christine.

-Oh, c’est gentil, j’avais bien fait de te la demander.

-Ah oui, il a plu aujourd’hui, alors je me suis dit que je pourrais laver les assiettes et les couverts cette fois-ci.

-Non, c’est pas la peine, ça sert à quoi de laver la vaisselle si c’est pour la salir ensuite, hein ? »

            Sa femme cogita un instant.

« Oui, c’est vrai, ça peut encore attendre.

-Bon… »

            Le repas se déroulait dans un profond et solennel silence. Après la salade vosgienne, chacun savoura son yaourt au soja aromatisé au cacao, dessert idéal pour qui mange végétalien et bio.

 

Après le repas, un certain temps s’écoula où chacun vaquait à ses affaires, les parents faisant leur toilette, Sylvain s’occupant de ses exercices de mathématiques qu’il finit par abandonner sans les avoir tous essayé au profit du vocabulaire de sa première langue vivante étrangère avec l’Anglais, l’Allemand.

 

Ca au moins, je comprends à quoi ça sert, pensa-t-il tout rêveur.

 

            Le soleil commençait déjà à plonger derrière l’horizon lorsque Sylvain se confiait à son père au sujet de la dispute qui l’avait malgré tout gêné.

 

« C’est déplorable de voir que les gens n’ont rien compris et ne cherchent même pas à comprendre.

-C’est sûr… répondit sa mère.

-C’est pas en mangeant du porc qu’on va sauver la planète…»

            Gérard, voyant la nuit arriver, s’était saisi d’une bougie et d’une boîte d’allumettes. Il sortit une allumette et la craqua.

« Nous sommes en avance sur notre temps, déclara-t-il en portant la flamme à la bougie.

-Chéri !

-Oui, c’est ma conviction et je la défends.

-Tu es sûr que…

-Absolument. Je pense fermement qu’un jour, les gens vont ouvrir les yeux et faire comme nous, et que tout ira mieux, que la vie sera plus belle, plus propre, plus respectueuse de la Nature.

-Tu es vraiment trop optimiste…

-Non, non, j’ai de bonnes raisons de croire ça, pas toi ? »

 

« Bon, la vie nous l’apprendra, continua-t-il. En attendant, je vais me coucher. Pas la peine de lire cette fois-ci, je suis trop fatigué. Bonne nuit Christine.

-Bonne nuit –ils s’embrassèrent.

-Bonne nuit Sylvain.

-Bonne nuit Papa –ils s’embrassèrent.

-Fais de beaux rêves.

-… »

 

            Ainsi, toute la famille s’en alla se reposer, avec dans leur lits de nombreux et inoffensifs lapins de compagnie, la lumière de la Lune gibbeuse pénétrant dans les chambres, les éclairant doucement dans une atmosphère de calme et de paix.

 

Nous sommes bien gâtés, pensa Sylvain. En la respectant et l’aimant, Mère Nature nous remercie…

 

« De rien. »

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27 août 2009 4 27 /08 /août /2009 19:52

Les écolos rigolos est un texte que j'ai écrit dans l'été 2007, qui est aussi la période où j'ai vu un papillon multicolore (mais ça c'est une autre histoire). Il se découpe en sept épisodes correspondant chacun à un jour de la semaine, plus un épilogue. C'est une fiction où l'on suit la semaine du jeune Sylvain, écologiste profond donc décroissant, à peine caricaturé des vrais mais suffisamment pour en devenir un écolo rigolo.

Je me suis rendu compte que la meilleure présentation de ce texte était celle d'un feuilleton, donc il sortira épisode par épisode.

N'oubliez pas que je suis très ouvert aux critiques, alors n'hésitez pas à en faire ! Sinon, bonne lecture ! ;-)

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